Publié le 16 jan 2011Lecture 13 min
Les traitements non chirurgicaux des carcinomes cutanés
C. RENAUD-VILMER, Hôpital Saint-Louis, Paris
Le rôle étiologique majeur du soleil explique la survenue des cancers cutanés, principalement sur les zones découvertes. Leur prise en charge va nécessiter, en plus d’un objectif curatif carcinologique, un objectif esthétique et fonctionnel optimal. Pour cette dernière raison, des traitements « alternatifs » à la chirurgie (traitement de référence) sont proposés dans les formes superficielles, sans risque métastatique.
Les cancers cutanés sont les cancers les plus fréquents chez l’adulte. Leur incidence est croissante du fait de leur lien avec l’exposition solaire et de l’augmentation de la durée de vie ; de ce fait, il s posent un p problème de santé publique de plus en plus important. Les traitements non chirurgicaux « alternatifs » reposent actuellement sur la photothérapie dynamique, la cryothérapie, et les applications locales d’imiquimod, de 5-fluoro-uracile, ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens topiques (diclofénac) ; les rétinoïdes en application locale ne sont pas retenus actuellement par la HAS. Les indications de ces traitements non chirurgicaux « alternatifs » sont : – les carcinomes basocellulaires de type superficiels (CBCs) ; – les maladies de Bowen cutanées (MB) ou carcinomes in situ ; – et les kératoses préépithéliomateuses ou kératoses actiniques (KA). Le traitement des KA, en dehors d’une gêne fonctionnelle et cosmétique, aurait pour intérêt de prévenir leur transformation ultérieure en carcinome invasif (celleci est évaluée en moyenne à 1/1 000). Le traitement dans le même temps du champ de cancérisation associé (anomalies infracliniques UV-induites) serait intéressant pour éviter les récidives. Par ailleurs, toute KA très kératosique, voire infiltrée, ou résistant à un premier traitement bien conduit doit faire pratiquer un contrôle histologique. La photothérapie dynamique La photothérapie dynamique (PDT) consiste en l’application d’une crème contenant une substance active photosensible qui pénètre sélectivement dans la tumeur, suivie de l’irradiation par une lumière de longueur d’onde appropriée pour réaliser une réaction phototoxique. Les précurseurs de porphyrines sous forme topique (l’acide alpha-amininolévulinique [ALA] et le méthylester d’ALA [MAL]) sont les plus utilisés. L’intérêt de cette technique par rapport à la chirurgie est principalement d’ordre cosmétique. Son inconvénient essentiel consiste en l’existence de phénomènes douloureux, très patientdépendants, pendant l’irradiation. Modalités techniques et précautions La crème contenant l’actif doit être appliquée avec une marge de 1 cm autour de la lésion. Si besoin, la lésion fera l’objet d’un grattage préalable à la curette afin de favoriser la pénétration du produit ; le saignement lors de ce curetage ne gêne pas la poursuite du traitement. On applique ensuite un pansement occlusif par-dessus, puis un pansement opaque à la lumière. Figure 1. CBCs abdominal chez une femme de 38 ans (en haut) ; un mois après arrêt d’imiquimod (au milieu) ; 1 an après traitement par imiquimod (en bas). Trois heures après, la crème est bien nettoyée pour éviter tout risque de brûlure au moment de l’irradiation. La douleur peut être prévenue par la prise d’antalgique de niveau I à III, 30 à 45 minutes avant la séance. Il faut éviter les AINS et les applications locales de lidocaïne, de capsaïcine et de gel de morphine (non efficaces sur la douleur). Parfois, on peut être amené à réaliser une anesthésie locale ou tronculaire. Il faut prévenir le patient des effets secondaires après l’irradiation, à type d’oedème, d’érythème, de sensation de prurit, puis de la survenue de croûtes, voire, plus rarement, de bulles ou d’ulcérations superficielles. Une évaluation à 3 mois permet, en cas de réponse incomplète, de proposer deux séances supplémentaires à 1 semaine d’intervalle. Indications En France, la PDT est indiquée (AMM) dans le traitement des carcinomes basocellulaires superficiels (CBCs), des maladies de Bowen (MB) cutanées et des kératoses actiniques (KA). Les CBCs représentent environ 20 % des CBC. Ils sont souvent multiples et surviennent souvent chez des patientes jeunes, au niveau du tronc et du décolleté, endroit où les cicatrices d’exérèse sont souvent dystrophiques. Toutes ces caractéristiques rendent la PDT attrayante dans cette indication. De même, cette technique est très intéressante pour le traitement des MB des jambes des sujets âgés, chez qui le traitement chirurgical est souvent difficile et grevé d’un risque d’ulcération secondaire lié au mauvais état veineux sous-jacent. Résultats • Pour les CBCs, des études randomisées (PDT versus cryothérapie) montrent une efficacité équivalente à 3 mois (CR [rémission complète] > 90 %) et un taux de récidive identique à 5 ans (22 % pour les deux techniques)(1). En revanche, un très net avantage revient à la PDT en termes de résultat cosmétique. Le taux de récidive est fonction de la taille de la lésion à détruire : pour les petites lésions < 1 cm, les résultats de la MAL-PDT sont équivalents à ceux de la chirurgie. La PDT est une bonne indication pour les lésions multiples, situées sur des zones où un risque cicatriciel postchirurgical est à craindre, ou chez des sujets préférant un traitement unique et chez qui l’autoapplication d’un autre traitement médical ne serait pas bien comprise. • Pour les MB, la PDT a été comparée à la cryothérapie (1 séance de 20 secondes avec une marge minimum de 2 mm) et au 5-FU en application locale (1/jour pendant 1 semaine, puis 2/jour pendant 3 semaines)(2) : le taux de rémission complète à 12 mois est de 80 % avec la PDT, et de 68 % et 69 % avec la cryothérapie et le 5-FU respectivement. D’autre part, le résultat esthétique est là aussi jugé meilleur avec la PDT. Les études montrent l’intérêt de cette technique pour les MB de grande surface, avec un taux de rémission de 85 % à 24 mois, pour des lésions dont la surface moyenne était de plus de 8 cm2 dans cette étude(3). Au total, comme pour les CBCs, la PDT semble une bonne indication pour le traitement des maladies de Bowen cutanées, surtout si elles sont étendues et situées dans des sites avec risque de complication cicatricielle postchirurgicale ; mais deux séances à une semaine d’intervalle sont nécessaires d’emblée. • Pour les KA de la tête et du cou, plusieurs études ont comparé la PDT à la cryothérapie(4,5) avec une efficacité comparable (CR à 24 semaines de 86 à 89 %) après 1 ou 2 séances à 12 semaines d’intervalle en cas de réponse incomplète, mais une meilleure efficacité à long terme de la PDT (CR à 12 mois : 50 % vs 37 % pour la cryothérapie) et un meilleur résultat cosmétique pour la PDT. • Pour les KA du dos des mains, les résultats sont moins bons que pour les KA de la tête et du cou, mais le taux de réponse est identique à celui obtenu après des applications de 5-FU (73 % vs 70 % avec le 5-FU 2 fois/jour pendant 3 semaines), considéré comme le traitement de référence des KA(6). En revanche, l’efficacité de la PDT sur les lésions infracliniques ou le champ de cancérisation n’est pas établie. En effet, le taux de récidive est le même à 12 mois sur des sites traités par PDT et sur des sites traités par placebo( 7). Au total, la PDT semble une bonne indication pour les KA multiples, confluentes et difficiles d’accès à l’autoapplication d’un produit topique, ou chez les sujets âgés désirant un traitement unique. Une 2e séance est parfois nécessaire au contrôle à 3 mois. L’imiquimod L’imiquimod est un actif immunomodulateur qui induit la synthèse de cytokines, dont l’interféron alpha et gamma, et stimule l’immunité cellulaire, aboutissant à la destruction de la tumeur. L’imiquimod crème a l’AMM en France pour les CBCs et les KA. Figure 2. Kératoses actiniques en cours de traitement par imiquimod ey 3 mois après arrêt de l’imiquimod (b). • Pour les CBCs, le rythme d’application de l’imiquimod est de 5 jours par semaine pendant 6 semaines. Son action entraîne une réaction inflammatoire locale qui peut être intense : le patient devra en être informé. La survenue de cette réaction est un signe d’efficacité du traitement ; elle dure environ une dizaine de jours. Dans quelques cas, cette réaction locale s’accompagne d’effets systémiques (asthénie, syndrome grippal). En pratique, en cas de réaction importante, un arrêt est proposé, mais le patient devra retarder d’autant la fin du traitement. L’efficacité de l’imiquimod versus placebo a été démontrée sur plusieurs études. Une étude à long terme (5 ans) a montré un taux de rémissions de l’ordre de 80 %(8), taux équivalent a celui de la PDT dans la même indication (cf. plus haut). Les résultats cosmétiques sont équivalents à la PDT. L’imiquimod est une bonne indication pour des lésions CBCs multiples, notamment pour les localisations où la chirurgie serait à l’origine de séquelles cosmétiques. En revanche, ce traitement ne peut être proposé que sur les lésions d’accès facile à la vue (pour les autoapplications) et chez des patients ayant accepté et compris les effets secondaires. Figure 3. CBCs du flanc chez une femme de 40 ans et 1 an après traitement par PDT . • Concernant les KA, l’imiquimod est indiqué au rythme de 3 applications par semaine pendant 16 semaines. Les effets secondaires locaux sont les mêmes que pour les CBCs, et sont à l’origine du même effet thérapeutique bénéfique. Il n’y a pas d’étude comparant l’imiquimod crème aux autres traitements médicaux alternatifs dans cette indication. Les études ont été réalisées contre placebo, avec à 16 mois un taux de rémission complète de 75 à 85 %(9). Des périodes de repos (2 à 4 semaines) peuvent améliorer la tolérance sans altérer l’efficacité. Mais surtout, l’imiquimod révèle les lésions infracliniques associées (champ de cancérisation), qui sont alors traitées dans le même temps si le traitement est poursuivi, et leur traitement pourrait avoir ainsi une action préventive sur les récidives. L’imiquimod est plutôt indiqué dans les KA étendues ou multiples, dans des zones d’accès facile à la vue et chez des patients ayant bien compris les effets secondaires locaux. Il est proposé, en général, après échec du 5-FU et/ou du diclofénac topique. Le 5-fluoro-uracile Le 5-fluoro-uracile (5-FU) est commercialisé en France sous forme d’une crème à 5 %. Ce traitement était considéré comme le traitement de première intention pour les KA multiples. Figure 4. CBCs multiples dos et 1 an après traitement par PDT. Il est à l’origine d’une irritation locale, d’une phototoxicité, mais très rarement d’effets systémiques. Pour des KA faciales, une métaanalyse( 10) montre, après un cycle de traitement (2 applications par jour pendant 2 à 4 semaines), et un suivi de 3 à 11 mois, une réponse par lésion de 87,8 % et une réponse complète par patient de 50 à 70 %. L’efficacité semble aussi liée à l’irritation locale. Cependant, il n’y a pas d’étude de suffisamment bonne qualité (petit nombre de patients) permettant de définir les modalités exactes d’application et la durée du traitement, et d’évaluer le taux de rechute (pas de suivi suffisamment long). Des essais de traitement hebdomadaire (2 applications un jour par semaine) montrent une meilleure tolérance, mais une efficacité moindre. Quelques études où le 5-FU est comparé à la PDT, l’imiquimod et la cryothérapie rapportent des résultats contradictoires. Le 5-FU a l’AMM dans les KA au rythme de 2 applications par jour pendant 6 à 12 semaines, mais le mode d’application peut être adapté à la tolérance. Le 5-FU représente le traitement de première intention dans les formes multiples de KA du fait de son faible coût par rapport aux autres traitements locaux. Le 5-FU a aussi l’AMM pour le traitement des MB cutanées. L’étude comparative de Morton(2)montre à 12 mois une efficacité comparable à celle de la cryothérapie (68-69 %) mais inférieure à la PDT (80 %). La cryothérapie Il faut distinguer la cryochirurgie (qui n’entre pas dans le cadre des traitements non chirurgicaux) et la cryothérapie « simple » telle qu’elle est décrite dans les études comparatives citées ci-dessus(1,2). Figure 5. Maladie de Bowen étendue de la face et 1 an après traitement par PDT. Cette technique repose sur l’application d’azote liquide par Cryother ou par Coton-Tige ; la durée d’application n’est pas codifiée. Dans les études comparatives, le temps d’application est souvent plus long (1 à 3 applications itératives de 20 s minimum) qu’en pratique courante. • Pour les KA, le taux de guérison est identique à la PDT(4), mais avec des résultats esthétiques bien moindres pour la cryothérapie, et en partie expliqués par la durée d’application. Chez les personnes âgées, se déplaçant difficilement, la cryothérapie peut être intéressante pour traiter des KA peu nombreuses, car elle peut être réalisée au cours de la consultation initiale, avec un rythme de contrôle identique aux autres traitements « alternatifs ». Dans les conditions d’applications usuelles, les patients âgés ont souvent moins de séquelles hypochromiques durables. • La cryothérapie a aussi été l’objet d’étude dans la MB cutanée (2) avec un taux de guérison à 12 mois identique à celui du 5-FU (68 % vs 69 %), mais inférieur à celui de la PDT (80 %), avec un résultat cosmétique jugé inférieur aux autres traitements. De même, pour les CBCs, l’étude de N. Basset-Seguin (1) montre que la cryothérapie (selon le protocole suivant : 2 applications de 20 secondes ; à répéter 3 mois plus tard en cas de non-régression, 2 fois à 1 semaine d’intervalle) est aussi efficace à 5 ans que la PDT, mais avec un bien moins bon résultat cosmétique. Ce traitement peut donc être proposé chez des sujets âgés à mobilité réduite dans ses deux autres indications : CBCs et MB cutanée. Diclofénac 3 % Il s’agit d’un anti-inflammatoire non stéroïdien dont le mode d’action sur les KA n’est pas élucidé. Il pourrait avoir un effet par son action inhibitrice de la voie Cox. Les études montrent une supériorité d’efficacité par rapport au placebo. Une étude comparative chez 25 patients montre, à 3 mois, une efficacité comparable avec celle du 5-FU. L’irritation locale secondaire serait moindre que celle due au 5-FU, mais la durée du traitement est plus longue (2 applications/j pendant 60 à 90 jours). Pour la pratique, on retiendra Les traitements non chirurgicaux « alternatifs » des carcinomes basocellulaires superficiels reposent actuellement sur la PDT et l’imiquimod avec des taux de guérison et des résultats cosmétiques identiques. Le choix sera pris par le patient avec l’aide de son dermatologue (site des lésions, compréhension du traitement, etc.). Pour les maladies de Bowen cutanées, l’AMM est accordée à la PDT et aux applications de 5-FU. Le bas coût du 5-FU le fait proposer en première intention pour les sites d’accès facile à la vue, et en cas de bonne compréhension du patient (autoapplication). La cryothérapie peut aussi être proposée dans ces deux indications (CCBs et MB) chez des sujets âgés à mobilité réduite. Un suivi régulier des patients sera dans tous les cas nécessaire, car le taux de récidive avec ces traitements non chirurgicaux restent toujours légèrement supérieur à celui de la chirurgie. Pour traiter les kératoses actiniques, on aura tendance à proposer dans un premier temps la cryothérapie (lésions peu nombreuses chez le sujet âgé) ou le 5-FU en application locale (lésions nombreuses, en particulier au niveau des mains) du fait de leur bas coût et/ou de leur facilité d’utilisation (cryothérapie). En deuxième intention, le diclofénac (pour les KA fines), la PDT ou l’imiquimod seront proposés en tenant compte des caractéristiques d’application de chaque traitement et de la compréhension et des désirs du patient.
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