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Cheveux, Poils, Ongles

Publié le 27 aoû 2006Lecture 12 min

L'ongle de l'enfant

P. Plantin, Hôpital Laennec, Quimper
Les problèmes unguéaux, chez l'enfant, sont souvent mis sur le compte d'une vague " mycose " alors qu'un examen attentif révélera qu'ils sont parfois le stigmate d'une dermatose inflammatoire ou d'une génodermatose.
Cette mise au point n'a pas l'ambition de détailler l'ensemble de la pathologie unguéale pédiatrique, mais de préciser les différentes atteintes unguéales observées en particulier au cours de pathologies génétiques, inflammatoires et infectieuses. Avec l'expérience, l'ongle de l'enfant et du nouveau-né, pour celui qui sait l'observer, se révélera riche d'enseignements.   Embryologie, développement et physiologie de l'ongle du nouveau-né   L'empreinte de la région unguéale est présente dès la 9e semaine de gestation. On peut observer l'ébauche de la matrice unguéale à la 13e semaine alors que l'ongle définitif apparaît avant la 30e semaine de gestation. Le développement de l'ongle résulte d'une interaction entre l'ectoderme et le mésoderme, interaction qui explique un certain nombre d'anomalies regroupées sous l'acronyme COIF (Congenital Onychodysplasia of the Index Finger). Au cours de ce syndrome, on remarque des anomalies conjointes du développement de la phalangette et de l'ongle sous-jacent qui aboutissent à la présence d'ongles multiples ou dystrophiques. Néanmoins, il peut exister des anomalies unguéales définitives, liées à des anomalies vasculaires survenant in utero, sans anomalie osseuse associée.   Figure 1. Hypertrophie des bourrelets latéro-unguéaux des premiers orteils.   Notions génétiques La génétique du développement des ongles est complexe mais il est intéressant de noter que certains gènes homéotiques, ceux impliqués dans l'orientation et l'implantation normale des membres, participent également au développement harmonieux des ongles. Ainsi, des anomalies d'activation ou d'interaction de ces gènes avec des gènes codant pour des récepteurs protéiques transmembranaires (gène Patched) peuvent aboutir à des syndromes complexes comme le syndrome de Gorlin ou le syndrome de Rubinstein-Taybi, caractérisés l'un et l'autre par une plus grande fréquence de survenue de cancers et par des anomalies unguéales. Les composants de l'ongle L'ongle est constitué essentiellement de kératines et la mutation de certaines d'entre elles (kératines 16 et 17) peut être à l'origine de syndromes, comme la pachyonychie congénitale dans laquelle un épaississement unguéal considérable est observé. Il est également important de rappeler que si le calcium est un composant de la table unguéale, il n'est pas du tout en cause dans la rigidité de l'ongle, comme le croient souvent les parents. Une croissance rapide À l'inverse de ce qui se passe chez le vieillard, la croissance de l'ongle chez le petit enfant est extrêmement rapide, plus rapide chez le nouveau-né à terme que chez le prématuré et également plus rapide sur la main dominante. On estime la croissance de l'ongle des mains de l'enfant à 0,1 mm/jour.   " La croissance de l'ongle des mains de l'enfant est estimée à 0,1 mm/jour. "   Troubles physiologiques et anomalies unguéales du nouveau-né   L'ongle du nouveau-né est d'aspect identique à celui de l'enfant plus âgé. Il est simplement plus fin et plus mou, ce qui explique la déformation en cuillère (koïlonychie) que l'on peut observer en particulier sur les ongles des pieds. Les ongles trop longs Beaucoup de nouveau-nés ont des ongles très longs, responsables de griffures du visage et, parfois, de plaies conjonctivales. En effet, on indique encore dans beaucoup de maternités qu'il ne faut pas couper les ongles du nouveau-né avant l'âge de 1 mois, cet interdit " absurde " n'est en rien justifié.   " Ne pas couper les ongles du nouveau-né avant l'âge de 1 mois, est un interdit qui n'est en rien justifié. "   Par ailleurs, des ongles trop longs risquent de favoriser un périonyxis unguéal, bien individualisé récemment par des auteurs japonais. Ceux-ci ont observé chez des nouveau-nés dont l'âge moyen était de 1 mois, un périonyxis inflammatoire des quatre premiers doigts. Ce périonyxis n'était pas en rapport avec une infection locale bactérienne ou virale. Les auteurs émettent l'hypothèse que ce périonyxis est d'origine traumatique, traumatisme lié aux mouvements d'avant en arrière de la table unguéale survenant chez des enfants qui serrent le poing (grasping physiologique des 3 premiers mois de vie). Hypertrophie du bourrelet latéro-unguéal Cette autre anomalie transitoire assez caractéristique des premiers mois de vie (figure 1) a été décrite dans les années 80 par Claude Martinet. Elle se manifeste par une hypertrophie du bourrelet latéral interne des ongles des pouces de pieds. Cette hypertrophie peut être très importante et recouvrir une partie de la table unguéale. Il s'agit d'un phénomène bénin, dont l'origine n'est pas connue et qui régresse spontanément. Bien entendu, l'exérèse chirurgicale de ce bourrelet est inutile. Onychomadèse On observe également, dans les premiers mois de vie, une onychomadèse qui peut être relativement marquée, aussi bien sur les ongles des mains que des pieds. L'ongle présente un aspect de fracture transversale liée à une interruption brutale de croissance. Ce phénomène a été considéré par certains auteurs anglo-saxons comme le témoin d'un stress néonatal induisant une sidération de la pousse unguéale, ce stress étant représenté par… la naissance elle-même ! Il est probable que cette explication est partiellement fausse et qu'un certain nombre d'onychomadèses néonatales sont en fait l'expression d'une candidose cutanée congénitale qui se manifesterait essentiellement au niveau des ongles. Mélanonychies Les mélanonychies en bandes, multiples chez les nourrissons noirs, sont fréquentes et n'ont, bien entendu, pas de signification particulière. Striations Enfin, il n'est pas exceptionnel d'observer chez les nouveau-nés un aspect de striation des ongles en forme de chevrons, qui peut d'ailleurs persister plusieurs années (figure 2). Figure 2. Aspect de striation en chevrons.   Anomalies unguéales congénitales ou s'intégrant dans le cadre de maladies génétiques   De nombreuses anomalies congénitales peuvent porter sur la taille de l'ongle, ou sur sa présence ou son absence. L'hyponychie correspond à un développement insuffisant de l'ongle. À l'inverse, on peut observer des ongles de grande taille réalisant un aspect en raquette. Des modifications de position de la matrice unguéale d'origine congénitale existent aussi. Des anomalies de structure de la matrice unguéale entraînent le développement d'un ongle anormal en griffe (onychogryphose) ou bien épaissi. Au cours de maladies s'accompagnant de mutations sur les kératines impliquées dans la composition de l'ongle, il est habituel d'observer des ongles anormaux souvent épais. Les intoxications (syndrome d'alcoolisme fœtal) ou les prises médicamenteuses au cours de la grossesse (antiépileptiques) peuvent induire des anomalies irréversibles des ongles de l'enfant. Enfin, un certain nombre de maladies génétiques, telles les épidermolyses bulleuses, induisent fréquemment des dystrophies unguéales secondaires. Le tableau de la page 4 présente quelques anomalies et les syndromes qui peuvent en être responsables.   Modifications unguéales d'origine infectieuse   Infections bactériennes Plusieurs épidémies liées à Veillonella ont été décrites dans des unités de néonatalogie. Cette bactérie cocci gram négatif, retrouvée au niveau de la salive, a été rendue responsable de périonyxis inflammatoires sévères observés chez des nouveau-nés. Des périonyxis streptococciques ou staphylococciques peuvent être trouvés, chez des nouveau-nés, parfois dans le cadre d'infections systémiques. On peut en rapprocher la dactylite bulleuse streptococcique (figure 3) du nourrisson et du petit enfant, caractérisée par la survenue d'une bulle peu inflammatoire touchant souvent la troisième phalange et la région périunguéale. La mise en évidence au sein de la bulle d'un streptocoque du groupe A fait la particularité de ces bulloses streptococciques. Figure 3. Dactylite bulleuse streptococcique.   Infections virales Au cours des infections herpétiques, et en particulier de la primo-infection, l'aspect de pseudo-panaris herpétique est maintenant bien connu des dermatologistes. Tel n'est pas le cas pour les chirurgiens qui incisent encore fréquemment, à tort, ces lésions inflammatoires d'origine virale. Une onychomadèse chez le petit enfant peut succéder à un syndrome pieds-mains-bouche ou à d'autres infections virales (figure 4). Infections fongiques Nous avons indiqué que l'onychomadèse néonatale peut parfois être l'expression d'une candidose cutanée congénitale. Les atteintes dermatophytiques unguéales sont, en revanche, très rares chez le nourrisson. Elles commencent à être observées au niveau des pieds, lorsque l'enfant a acquis la marche.   Figure 4. Onychomadèse au décours d'un syndrome pieds-mains-bouche.   Pathologie unguéale inflammatoire La présence de bulles dans la région périunguéale peut correspondre à des bulles de succion. Il faut également rappeler que la syphilis néonatale, l'incontinentia pigmenti et les épidermolyses bulleuses peuvent être à l'origine de bulles des extrémités. Leuconychies unguéales L'aspect de striations blanchâtres de la table unguéale est un phénomène fréquent et sans signification particulière. Il résulte le plus souvent de microtraumatismes survenus à la base de l'ongle. Psoriasis et eczéma Dans la petite enfance, l'eczéma atopique, en particulier au niveau du pouce sucé (figure 5), et le psoriasis peuvent induire des modifications unguéales qui sont parfois assez déroutantes en l'absence d'un contexte évocateur. Fig 5 : Eczéma unguéal du pouce sucé Trachyonychie Cet aspect d'ongle grésé (dont la surface devient rugueuse) et dépoli peut être observé sur les 20 ongles (twenty nails syndrome). La trachyonychie relève le plus souvent d'une pelade unguéale, d'un lichen plan ou d'un psoriasis. Néanmoins, il n'est pas exceptionnel qu'elle soit isolée. Elle pose surtout un problème de traitement et on a récemment proposé la corticothérapie générale sous forme d'injections mensuelles d'un corticoïde injectable retard pour la traiter. Au cours de dermatoses inflammatoires comme le lichen striatus, l'atteinte unguéale est parfois isolée et réalise un aspect de pachyonychie ou, à l'inverse, d'onycholyse (figure 6). Fig 6 : Lichen striatus du pied avec atteinte de l'ongle en regard   Bandes pigmentées unguéales du nourrisson et du petit enfant   L'existence d'une bande pigmentée chez le petit enfant est toujours une source d'inquiétude pour les parents, ce d'autant que ces bandes pigmentées peuvent avoir un aspect assez préoccupant par leur taille et leur coloration très marquées. Néanmoins, les données de la littérature sont rassurantes car les cas prouvés de mélanome unguéal chez l'enfant sont tout à fait exceptionnels. Il semble donc raisonnable, en présence d'une bande pigmentée unguéale chez le petit enfant, d'instituer une surveillance clinique et, éventuellement, dermatoscopique. Une biopsie de cette bande unguéale peut induire une dystrophie unguéale parfois sévère et elle ne semble donc pas nécessaire, sauf dans de rares cas, tant le mélanome unguéal de l'enfant est rare.   " Les cas prouvés de mélanome unguéal chez l'enfant sont tout à fait exceptionnels. "     L'ongle en consultation pédiatrique   D'autres problèmes unguéaux peuvent être rencontrés en consultation de dermatologie pédiatrique (données personnelles du Dr Edith Duhard - Tours).   Les verrues Les verrues représentent l'essentiel des tumeurs unguéales ou périunguéales observées chez l'enfant. Nous connaissons tous les difficultés de prise en charge des verrues chez l'enfant, difficultés particulièrement importantes dans cette localisation où les traitements destructeurs comme la cryothérapie sont particulièrement douloureux. Par ailleurs, les verrues périunguéales ont fréquemment tendance à récidiver car non seulement la verrue a souvent propension à filer sous l'ongle, mais aussi parce que le traitement n'a pas pu être complet ou parce que le tic de mordillement des ongles et des doigts, très fréquent chez l'enfant, semble favoriser leur prolifération. Des traitements comme des injections ou l'application de bléomycine sont rarement envisageables dans la population pédiatrique et les traitements destructeurs des verrues sont rapidement douloureux et mal tolérés. Pour ma part, j'ai tendance à proposer la pose de sparadrap plastifié au niveau de ces localisations, ce qui évite parfois le mordillement et constitue un " traitement " simple dans l'attente d'une régression spontanée de ces verrues !   " Au niveau unguéal, les traitements destructeurs des verrues sont rapidement douloureux et mal tolérés. "   Icarnations et désaxations unguéales L'incarnation unguéale latérale, lorsqu'elle est modérée, peut relever d'une simple prise en charge médicale avec des soins antiseptiques et un méchage qui permet de séparer le bord latéral de l'ongle de la région périunguéale adjacente. Dans les formes majeures, la prise en charge chirurgicale s'impose avec un intérêt particulier pour la phénolysation matricielle latérale qui est un geste simple et efficace. La désaxation unguéale congénitale Caractérisée par une pousse oblique en dehors de l'ongle d'un ou des deux orteils (figure 7). Un certain nombre de cas se corrigent d'eux-mêmes et la chirurgie ne s'impose donc que dans des formes persistantes. Le temps de la chirurgie doit être choisi avec soin, car une intervention trop tardive laisse persister une dystrophie unguéale définitive. Fig 7 : Désaxation unguénale congénitale unilatérale Onychotillomanie et onychophagie La prise en charge de ces gestes compulsifs est difficile. La mise en place en permanence de sparadrap permet parfois à l'enfant de prendre conscience du geste répétitif qui aboutit aux lésions unguéales. Dans certains cas, le recours à une psychothérapie ou même à une prise en charge médicamenteuse (inhibiteurs de la sérotonine) peut être proposé.   Conclusion   Comme toujours en dermatologie pédiatrique, la notion d'évolutivité est essentielle à la prise en charge des onychopathies de l'enfant. Attendre sera parfois la décision la plus raisonnable, là où une attitude interventionniste serait peut-être vouée à l'échec ou aux séquelles, ce qui est particulièrement vrai en matière de verrues virales !

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