Publié le 28 aoû 2006Lecture 8 min
Prurit sénile : la prévention avant tout
S. Bonin1, A. Wollner1, H. Van landuyt2, J. Pidoux1, C. Sohm1, C. Verdot2, 1 Centre de Long Séjour, Bellevaux 2 CHU, Besançon
Le prurit sénile, dont le diagnostic se fait après avoir éliminé les causes internes, est une affection fréquente, invalidante et souvent difficile à traiter. Sa prise en charge est globale (hygiénique, thérapeutique et psychologique) et repose avant tout sur la prévention.
Prurit sénile : un diagnostic d'élimination Le prurit est une manifestation fréquente chez le sujet âgé. Ses causes sont multiples (tableaux 1 et 2) et doivent être recherchées systématiquement par un examen clinique, complété d'examens complémentaires simples (tableau 3). Le prurit sénile est avant tout un diagnostic d'élimination. L'examen cutané doit être soigneux, à la recherche d'une lésion élémentaire spécifique : sillon pour la gale, bulle pour une pemphigoïde, papule nacrée pour un lichen (figure 1). Sa prise en charge est globale : hygiénique, médicamenteuse, psychologique. Son traitement est souvent long et les échecs fréquents. Les auteurs étudient l'intérêt d'une prise en charge hygiénique sur l'incidence et la prévention de cette pathologie. Tableau 1. Causes internes de prurit chez le sujet âgé (non exhaustif) - Insuffisance rénale chronique - Hémodialyse - Cholestases hépatiques : obstructions mécaniques - Causes hormonales : hyperthyroïdie, hypothyroïdie, syndrome carcinoïde - Maladies hématologiques : lymphomes, polyglobulie primitive, myélome multiple, anémie ferriprive - Tumeurs malignes viscérales : sein, poumon, estomac - Causes diverses : parasitoses systémiques, mastocytoses, médicaments, opiacés - Causes discutées : diabète, goutte Tableau 2. Causes dermatologiques de prurit chez le sujet âgé - Parasitoses : gale ++, pédiculose - Dermatoses prurigineuses : eczéma, urticaire, toxidermies, etc. - Maladies bulleuses : mycosis fongoïde, syndrome de Sézary Matériel Cette étude a été réalisée sur trois ans, du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002, dans le Centre Long Séjour de Bellevaux (250 lits). La moyenne d'âge des résidents est de 83 ans. La pharmacie interne à l'établissement a comptabilisé pour cette étude plus particulièrement la consommation annuelle des traitements antiprurigineux (antihistaminiques oraux et corticoïdes locaux). Tableau 3. Examens complémentaires simples à demander pour rechercher une cause interne de prurit chez le sujet âgé - NFS : Plaquettes, vitesse de sédimentation - Enzymes hépatiques, bilirubine, phosphatases alcalines - Glycémie à jeun, ferritine - Bilan thyroïdien - Radiographie pulmonaire Méthodologie Au cours de l'année 2000, une campagne d'information a été effectuée par les médecins du centre en collaboration avec le dermatologue attaché et la pharmacienne de l'établissement auprès du personnel soignant (aides soignantes et infirmières). Son objectif était : - d'informer sur la physiologie cutanée du sujet âgé : la peau du sujet âgé est le siège de modifications structurelles et fonctionnelles. La sécrétion sébacée et sudorale diminue, la teneur en eau s'amoindrit entraînant une xérose ou sécheresse cutanée (figure 2) ; - de rappeler les règles d'hygiène simples (tableau 4) ; - de modifier la prise en charge de ces xéroses : . par une toilette adaptée, avec des savons ou des pains surgras ; . par une hydratation corporelle au long cours et non par une hydratation temporaire limitée aux épisodes prurigineux, . par l'introduction d'une nouvelle solution corporelle hydratante en remplacement du topique émollient utilisé antérieurement, à appliquer après chaque toilette sur une peau légèrement humide en prévention de la sécheresse cutanée. Parallèlement, une note d'information destinée aux résidents et à leur famille a été diffusée dans les services et insérée dans le livret d'accueil (tableau 5). Tableau 4. Hygiène et toilette d'une personne âgée 1) Toilette non agressive - Pas de savon parfumé, utiliser des savons ou des pains surgras - Limiter les savonnages excessifs - Rinçage doux, préférer la douche au gant de toilette - Tamponner pour sécher, ne pas frotter - Ne pas savonner les zones très irritées si cela n'est pas nécessaire - Pas de savon antiseptique au long cours 2) Ne pas utiliser de parfums ou dérivés pour les frictions après la toilette - Ne parfumer que les vêtements si besoin 3) Hydrater après la toilette (en couche mince) sur la peau encore humide - Préférer une crème ou une pommade qui hydrate plus que le lait ou l'huile - Pommade > crème > lait 4) Limiter les vêtements irritants - laine, synthétique, etc. 5) Limiter les facteurs irritants externes - Chaleurs excessives - Sécheresse des locaux : humidificateurs Tableau 5. Fiche distribuée aux résidents, à leurs familles et amis " Pour un meilleur confort de vie, améliorant la qualité de la peau " - La peau des sujets âgés est très fragile : sèche, fine, irritable, etc. - Les blessures guérissent moins rapidement : plaies, croûtes chroniques. - Les vaisseaux sont fragiles : ecchymoses spontanées ou au moindre choc. - Ils sont plus sensibles aux agents irritants : savon ordinaire, vêtements synthétiques, parfum, eau de Cologne, vêtements mouillés. - Ils développent plus fréquemment des eczémas. Vous pouvez améliorer cet état en offrant à vos proches des produits de cosmétologie de bonne qualité. Ces produits ne sont pas des médicaments et ne sont pas disponibles dans les pharmacies des établissements de gériatrie. Une crème hydratante rend la peau plus confortable et limite les démangeaisons. Une croûte inflammatoire hydratée est moins sensible et moins douloureuse. Les parfums sont irritants ou les sucreries diverses souvent inadaptées et parfois incompatibles avec certains traitements, aussi nous vous conseillons : - de ne plus appliquer de parfum sur la peau mais de prendre des produits parfumés non alcoolisés à appliquer sur les vêtements ; - d'offrir un savon surgras pas trop parfumé, une crème ou une émulsion hydratante, une crème hydratante riche pour le visage ; - de faire boire beaucoup d'eau (en l'absence de contre-indication médicale) ; - de mobiliser fréquemment la personne âgée : aide à la marche, changement de position. Dans le cas d'une dermatose vraie, des produits médicaux adaptés seront, bien sûr, proposés par l'équipe médicale. Pour le choix des produits, les médecins et votre pharmacien peuvent vous renseigner. Résultats La consommation des antihistaminiques oraux a diminué de façon significative : de 2 780 comprimés par an en 2000 à 1 920 comprimés par an en 2002, soit une diminution de 30,9 % en 3 ans. De même, les traitements locaux sont passés de 132 tubes de corticoïdes pommades ou crèmes à 112 tubes (de contenance identique) en 2002, soit une diminution de 15,2 % en 3 ans. En revanche, durant la même période, les émulsions émollientes et hydratantes progressent de 163,5 %. Discussion L'effet positif des résultats escomptés a entraîné une diminution significative des consultations dermatologiques et médicales du fait d'une meilleure réactivité du personnel soignant. Des soins hydratants indispensables Une hydratation régulière avec un produit adapté améliore l'état cutané en apportant souplesse et confort à la peau ; le produit utilisé, une émulsion fluide eau dans huile contenant 4 % d'urée, restaure de façon non négligeable l'état de la peau en complétant son film protecteur naturel par un apport lipidique et par une molécule hydratante. Malgré sa forte teneur en lipides, la fluidité du produit facilite son application sur de grandes surfaces corporelles et permet ainsi une bonne observance. De plus, le produit utilisé est disponible en petit flacon, permettant l'emploi d'un flacon " nominatif " par patient et de limiter ainsi le risque de contamination. Limiter les corticoïdes au début des soins La diminution nette d'utilisation des corticoïdes prouve que dans le prurit sénile, la corticothérapie locale n'est pas adaptée et peut même aggraver la symptomatologie par atrophie secondaire. Les corticoïdes locaux peuvent être proposés au début en association à une hydratation correcte. Ils doivent être stoppés rapidement. Le fait de proposer rapidement des soins hydratants sans corticothérapie locale permet au personnel soignant de réagir plus rapidement sans risque d'aggraver la dermatose. Bienfait de la relation soignant-soigné Dans une telle étude, il est cependant difficile de savoir si la diminution de l'incidence du prurit sénile dans une communauté définie est liée à l'action d'émulsions émollientes et hydratantes ou à la conjonction de multiples facteurs, notamment psychologiques : modification de l'approche et de la relation au corps entre soignant et soigné, lors de l'application de crèmes. Quoi qu'il en soit, la forte diminution de consommation des différents traitements antiprurigineux observée plaide en faveur d'une prévention accrue de cette pathologie. Conclusion Cette étude réalisée dans un centre de long séjour a permis de souligner l'importance de la prévention dans la prise en charge du prurit sénile. Elle correspond à une information du personnel soignant, des proches ou amis des résidents, sur des gestes simples d'hygiène permettant de limiter la xérose ou sécheresse cutanée si fréquente chez les seniors (favoriser l'hydratation corporelle, limiter l'utilisation des savons, supprimer les parfums…. Ces gestes s'intègrent dans la prise en charge globale de la personne âgée et contribuent de façon non négligeable à son confort de vie.
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