Publié le 18 déc 2008Lecture 7 min
Thalidomide et atteinte cutanée au cours du lupus
R. CHRAÏBI, M. RMILI, M. MEZIANE, K. SENOUCI, B. HASSAM, Service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc
L’atteinte cutanée au cours du lupus reste fréquente. Plusieurs thérapeutiques sont utilisées parmi lesquelles le thalidomide. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’efficacité du thalidomide dans le traitement des atteintes cutanées au cours du lupus, de déterminer les doses efficaces, d’apprécier la tolérance à court et moyen terme.
Plusieurs thérapeutiques sont utilisées dans le lupus. Les antipaludéens de synthèse (APS) sont utilisés en première intention, associés à la photoprotection. Les dermocorticoïdes sont également souvent employés. D’autres traitements ont été rapportés comme étant efficaces surtout au cours du lupus érythémateux chronique : rétinoïdes oraux, dapsone, phénytoïne, méthotrexate, azathioprine, clofazimine, sulfasalazine, auranofine, interféron-α, photochimiothérapie extracorporelle (1). Plusieurs revues de la littérature et plusieurs essais ouverts ont rapporté l’efficacité du thalidomide dans le lupus érythémateux chronique et le lupus subaigu (2,3). L’objectif de notre étude était d’évaluer l’efficacité, les doses efficaces et les effets secondaires de cette molécule au cours du traitement des atteintes cutanées du lupus. À propos de 20 cas de lupus sous thalidomide Malades et méthodes Une étude monocentrique rétrospective concernant les malades atteints de lupus et traités par thalidomide a été menée sur une période de 11 ans (de 1994 à 2005), au service de dermatologie du CHU Ibn Sina. Ont été inclus les patients chez qui le diagnostic de lupus a été confirmé cliniquement, histologiquement et qui ont été traités par thalidomide pour une durée minimale supérieure à 2 mois. Les différents critères analysés étaient : le sexe, l’âge lors du diagnostic du lupus, les traitements du lupus antérieurement reçus, le motif de traitement par thalidomide, la posologie initiale et la dose minimale efficace, les effets secondaires et leur délai d’apparition et la durée moyenne du suivi. Résultats Vingt-quatre patients ont été traités par thalidomide. Il s’agissait de 20 patients ayant un lupus érythémateux chronique et 4 ayant un lupus subaigu. Le sex ratio (H/F) était de 0,5. L’âge moyen au moment du diagnostic était de 40 ans (extrêmes : 9 et 70 ans). Le thalidomide a été introduit après échec d’autres thérapeutiques dans 23 cas (APS dans 20 cas et méthotrexate dans 3 cas), et en première intention chez une patiente ayant une contre-indication ophtalmique aux APS. Le délai moyen de l’introduction du thalidomide par rapport au diagnostic était de 12 mois (extrêmes : 1 mois et 2 ans). Les femmes avaient une contraception efficace et tous les patients ont bénéficié d’un contrôle électromyographique avant l’instauration du thalidomide, puis une surveillance à 6 mois, puis annuelle. Aucun malade ne recevait d’autres traitements du lupus en association avec le thalidomide (topique ou systémique), en dehors d’une photoprotection. La posologie initiale était de 200 mg/j avec diminution progressive dès l’amélioration cutanée et un maintien d’une dose minimale d’entretien de 25 mg. La durée moyenne du traitement était de 12 mois (extrêmes : 3 mois et 2 ans). La réponse était satisfaisante chez 90 % des patients avec disparition des lésions. Dans 10 % des cas, la réponse était partielle avec persistance d’une infiltration. Les effets secondaires ont été rencontrés chez 46 % des patients après une durée moyenne de 5 mois : 7 patients ont développé une neuropathie périphérique qui était réversible à l’arrêt du traitement, une somnolence et une constipation dans 2 cas, un prurit dans 1 cas, n’ayant pas conduit à l’arrêt du traitement. Une rechute à l’arrêt du traitement a été observée dans 4 cas. Le recul moyen est de 2 ans. Discussion Cette étude rétrospective rapporte notre expérience concernant le traitement des manifestations cutanées du lupus par le thalidomide chez 24 malades. Elle confirme, malgré son caractère rétrospectif, l’efficacité et la bonne tolérance de faibles doses de thalidomide. Cette molécule a été utilisée pour les lésions cutanées de lupus ayant résisté à 3 mois de traitement par antipaludéen de synthèse, ou s’il existait une contre-indication absolue à ceuxci (4). De ce fait, son efficacité est actuellement bien établie dans le traitement des manifestations cutanées du lupus, mais les données de la littérature sont variables concernant sa toxicité (5). Cette molécule a été utilisée dans plusieurs affections dermatologiques notamment l’érythème noueux lépreux, la maladie de Behçet, l’aphtose invalidante et récidivante (6), l’infiltration lymphocytaire cutanée de Jessner- Kanoff et certaines indications plus rares (prurigo nodulaire de Hyde, sarcoïdose cutanée, érythème polymorphe chronique ou récidivant, pseudolymphomes). Le thalidomide est utilisé pour les lésions cutanées du lupus ayant résisté à 3 mois de traitement par APS ou en cas de contre-indication absolue. Les mécanismes d’action du thalidomide sont multiples et ne sont pas tous parfaitement élucidés. L’inhibition de l’angiogenèse est toutefois l’un des mécanismes principaux qui permet d’expliquer l’activité antitumorale du thalidomide. L’inhibition de la croissance tumorale, la stimulation de la réponse immunitaire et l’atténuation du potentiel métastatique tumoral sont d’autres mécanismes impliqués dans l’activité du thalidomide et de ses analogues (tableau 1). Tolérance Le thalidomide est une molécule potentiellement toxique. La tératogénicité est l’effet secondaire le plus redouté, mais les effets secondaires les plus fréquents dans les conditions d’utilisation actuelles sont d’ordre neurologique (somnolence, neuropathie), gastrointestinaux, thrombogènes, et dermatologiques (7). D’autres effets secondaires sont décrits (tableau 2), généralement plus rares et facilement gérés en pratique clinique. Dans notre expérience, on notait une bonne tolérance du thalidomide, avec absence d’effets secondaires majeurs. L’effet secondaire le plus fréquemment relaté était la neuropathie apparaissant 5 mois en moyenne après le début du thalidomide ; elle était réversible après arrêt du traitement. Les paresthésies étaient les signes annonciateurs et les neuropathies ont été prouvées par contrôle électromyographique. Le thalidomide provoque le plus souvent des neuropathies périphériques axonales, distales, d’abord sensitives puis plus tardivement motrices. Elles surviennent dans 20 à 50 % des cas chez les patients traités depuis plus de 6 mois. Le risque est augmenté chez les patients âgés, les femmes, ceux ayant une neuropathie préexistante ou traités concomitamment par des médicaments neurotoxiques (vincristine, cisplatine, paclitaxel) et lorsque la dose cumulée du thalidomide excède 50 g (8). Les neuropathies périphériques sont l’effet indésirable le plus fréquent du thalidomide. D’autres études Plusieurs études ont prouvé l’efficacité de cette molécule dans les lésions cutanées du lupus. En 1983, J. Knop et coll. (2) ont publié une série de 60 malades atteints de lupus érythémateux chronique traités par thalidomide. La posologie initiale était de 400 mg/j avec des doses d’entretien de 50 à 100 mg/j. Par la suite, d’autres séries rétrospectives ont été publiées (9-12). Ces études différaient de celle de J. Knop et coll., puisque les malades inclus avaient d’autres formes de lupus (lupus systémique, lupus subaigu) et que la dose d’attaque était plus faible (de 50 à 200 mg/j). Les résultats en termes d’efficacité étaient similaires. Notre étude confirme également l’efficacité de faibles doses du thalidomide dans le lupus cutané. Il n’existe pas dans la littérature de données concernant son délai d’introduction de la molécule. Ce délai dans notre série était court par rapport à une autre série (1), où le délai était de 10,6 ans. Ce long délai pourrait être expliqué par les contraintes de prescription de cette molécule, et la crainte d’effets secondaires. Conclusion La neuropathie périphérique est l’effet indésirable majeur du thalidomide. La relation entre sa survenue et la dose du traitement reste non claire. La crainte des effets secondaires en particulier neurologiques ne doit pas retarder l’introduction du thalidomide en cas d’échec des traitements usuels du lupus. L’utilisation de faibles doses semble permettre, dans notre expérience, de limiter les effets secondaires fréquents.
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