Publié le 20 oct 2022Lecture 13 min
Que doit savoir le dermatologue sur les cosmétiques ?
Céline COUTEAU, Laurence COIFFARD, Laboratoire de pharmacie industrielle et de cosmétologie, UFR de Pharmacie, Université de Nantes
À l’heure actuelle règne une certaine confusion dans la manière d’appréhender le domaine cosmétique. Les blogueuses beauté, qui ne disposent pourtant pas de formations scientifiques adéquates, se présentent comme des expertes en toxicologie appliquée aux ingrédients cosmétiques et aux produits finis. Plus timides, certains professionnels de santé s’avouent un peu dépassés en matière d’ingrédients cosmétiques. Une inversion des valeurs s’opère !
Les applications cosmétiques, mises au point par des professionnels du domaine de la communication ou de l’informatique, ne vont pas dans le sens de la vérité. Les informations véhiculées sont pour le moins dictées par des conflits d’intérêts et reposent plus sur des dogmes (tel ingrédient est déclaré arbitrairement toxique pour la santé humaine) que sur des bases scientifiques solides.
Dans ce véritable chaos, il convient de garder la tête froide et de toujours revenir aux fondamentaux scientifiques. La « cosmétophobie » qui règne chez une fraction de la population et qui conduit à l’éviction de produits industriels en faveur de produits faits maison (ceux-ci, en revanche, peuvent être sinon dangereux du moins peu efficaces) doit être combattue dans un souci de santé publique.
Il convient pourtant de chasser tout angélisme et de garder à l’esprit que tous les cosmétiques présents sur le marché ne se valent pas ; une bonne connaissance des ingrédients est donc indispensable pour pouvoir conseiller les cosmétiques les plus adaptés. Pour mieux s’y retrouver dans cette jungle, quelques points de repère sont proposés ici.
Définition du cosmétique
Tout spécialiste du domaine cosmétique connaît parfaitement les limites réglementaires du cosmétique, à savoir qu’il participe à l’hygiène de l’individu, à la protection de sa peau et de ses phanères et à son embellissement (via le maquillage). Or, il n’en est pas toujours de même du grand public qui exclut le plus souvent les dentifrices et plus généralement les produits d’hygiène de cette catégorie de produits ni même d’une fraction de l’industrie cosmétique qui, en matière d’allégations, inclut abusivement des notions spécifiquement médicales : traitement ou prévention de l’eczéma, du psoriasis, de l’acné.
Une définition réglementaire très claire
Rappelons que le cosmétique, au regard du Règlement (CE) n° 1223/2009, se définit comme suit : « Toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles. » Lieux d’application (seule la voie topique est possible) et fonctions (six actions précises sont mentionnées) sont donc clairement évoquées. Il ne peut donc pas y avoir de confusion, en théorie, avec un médicament. Pourtant, certains produits sont dits « frontière », car ils participent activement à la prévention de certaines pathologies. C’est le cas des dentifrices (qui permettent entre autres de lutter contre la carie dentaire) et des produits de protection solaire (qui jouent un rôle important en matière de prévention dans la survenue des cancers cutanés photo-induits). Dans ces cas précis, l’action préventive de la pathologie considérée ne peut pas être mise en avant.
On trouvera également sur le marché des produits présentés comme permettant de traiter ou de prévenir différentes pathologies cutanées, ce qui témoigne de l’absence de services réglementaires efficients dans la société qui les a mis sur le marché.
Une définition galénique très claire
Trois catégories d'ingrédients associés
D’un point de vue galénique, un cosmétique consiste en une association de diverses matières premières, chacune d’entre elles étant indispensable à la qualité du produit fini.
Les excipients consistent en une catégorie d’ingrédients sans action cosmétique particulière, des ingrédients « neutres » dont la fonction principale est de porter les actifs ; cette jolie définition n’est pourtant pas totalement vraie dans la mesure où la « neutralité » cosmétique n’existe guère. Selon les cas, l’excipient jouera un rôle bénéfique ou non en matière d’hydratation, de pénétration des ingrédients dans les différentes couches cutanées... Ainsi, chez les sous-produits de la chimie des pétroles, les silicones (effet hydratant) constituent des ingrédients de choix pour la formulation de cosmétiques adaptés aux peaux sensibles, alors même que l’alcool (à effet déshydratant) est contre-indiqué, et ce d’autant plus que l’on recherche une action de surface (l’alcool est en effet un exhausteur de pénétration bien connu). Les actifs sont, quant à eux, des ingrédients responsables de l’action cosmétique recherchée. On pense par exemple à une action anti-âge, hydratante, éclaircissante, protectrice vis-à-vis du soleil... Si certains actifs sont efficaces à très faibles doses (on citera le cas du bisabolol capable d’exercer un effet apaisant à la dose de 0,1 %), d’autres nécessitent d’être employés à des pourcentages beaucoup plus élevés (on pensera en particulier aux filtres utilisés à des doses allant de 5 à 10 %).
Les additifs, enfin, correspondent à des ingrédients permettant de modifier les caractères organoleptiques des formules et d’assurer leur conservation. Il s’agit des tensioactifs, des gélifiants, des colorants, des édulcorants, des antioxydants, des conservateurs antimicrobiens. Très décriés, ces derniers ingrédients sont pourtant indispensables à la bonne conservation des produits contenant de l’eau.
Différentes formes galéniques
Si les excipients sont nombreux, les formes galéniques, quant à elles, sont assez restreintes. On connaît, en effet, les solutions, les émulsions, les suspensions (tableau 1).
Précisons qu’il n’existe pas de notion scientifique (pas de viscosité minimale ou maximale requise) permettant de distinguer une crème d’un lait. Tous deux sont des dispersions de deux phases non miscibles entre elles; en fonction de la texture obtenue (le produit coule ou non) on choisira la mention « crème » (ne coule pas dans la main) ou la mention «lait» (coule dans la main).
Des entorses à la galénique
• Le cas des huiles lavantes L’exemple le plus criant d’entorse à la galénique concerne les huiles nettoyantes, des solutions qui – contrairement à ce que leur appellation laisse penser – ne sont pas uniquement composées d’huiles mais plutôt d’eau, comme des gels douche très classiques.
Le concept des huiles lavantes est né aux États-Unis. Trois dermatologues texans de Houston, Knox, Everett et Curtis, décident, à la fin des années 1950, de mettre au point un produit d’hygiène particulièrement adapté à leurs patients atopiques. Pour cela, ils proposent de mélanger des tensioactifs non ioniques, réputés pour leur douceur, à des huiles végétales, connues pour leur effet relipidant. Le produit qui en résulte, facile à formuler, se disperse à merveille dans l’eau du bain et permet une toilette non agressive par comparaison avec le savon alors traditionnellement utilisé.
Pourtant, le premier ingrédient figurant, actuellement, dans la liste INCI (liste des ingrédients incorporés en respectant une nomenclature internationale) est l’eau. Dans certains cas, aucun corps gras n’est retrouvé dans la formule.
C’est ainsi que la totalité des huiles nettoyantes vendues en pharmacie et parapharmacie ne correspond absolument pas à leur appellation. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher un instant sur les listes des ingrédients (tableau 2).
• Le cas des cosmétiques solides Les cosmétiques solides ont le vent en poupe. Un grand battage est fait autour d’eux. Cela peut expliquer pourquoi les industriels cherchent à attirer des clients en employant ce mot magique de « solide », et qu’ils sont tentés d’y accoler les termes « crème » ou « émulsion garante d’une tolérance optimale ».
Il est bon de rappeler à ce niveau qu’une émulsion solide... cela n’existe pas. Par définition, une émulsion est une dispersion d’eau dans de l’huile ou d’huile dans de l’eau. Il faut donc impérativement de l’eau et de l’huile (les deux en pourcentage non négligeable) additionnées de tensioactifs pour mettre au point une émulsion. Si l’un des constituants manque à l’appel, la mention «émulsion» (crème, lait) n’est pas correcte d’un point de vue galénique.
À ce titre, on donnera quelques exemples de « crèmes » solides du commerce ne correspondant absolument pas à des émulsions (tableau 3).
Éléments de lecture d'un emballage cosmétique
Sur un emballage cosmétique, on devra retrouver un certain nombre d’informations (figure 1).
On peut envisager pour ce lait démaquillant une formule complète du type : aqua, ethylhexyl palmitate, glycerin, dipropylene glycol, tocopherol, sodium hydroxyde, ethylhexylglycerin, caprylyl glycol, carbomère, parfum. Grâce à cette liste d’ingrédients, on peut repérer les excipients (dans le cas présent : eau, éthylhexylpalmitate, dipropylène glycol, éthylhexyl glycérine), les actifs (glycérine) et les additifs (soude, carbomère, parfum, tocophérol). On remarque que le produit considéré présente un risque allergique minime puisque aucun ingrédient n’est un allergène notoire.
Innocuité des tests pratiqués sur volontaires
Avant les années 1990-2000, les essais de tolérance cutanée et oculaire étaient réalisés sur des lapins, les tests d’hypoallergénicité sur des cobayes. Actuellement, les tests sur les animaux étant interdits, l’évaluation de la sécurité d’emploi des cosmétiques se fait sur des volontaires par patch test.
Toutes les mentions « non testé sur animaux » (cruelty free) sont donc des arguments marketing fallacieux, puisque aucun produit fabriqué dans l’Union européenne n’est testé sur animal. Cette mention relève, en revanche, d’une concurrence déloyale (cela est interdit au regard de la réglementation en vigueur).
En ce qui concerne la cosméto-vigilance, celle-ci prend sa place auprès des autres vigilances (pharmaco, matériovigilances) et consiste en un recueil des effets indésirables et des effets indésirables graves survenant lors de l’utilisation d’un produit cosmétique.
Zoom sur les produits de protection solaire et sur les filtres UV dans les produits du quotidien
Le marché des solaires, un marché prospère
Les produits de protection solaire sont des cosmétiques un peu à part. Vendus sous le statut de cosmétique (dans la plupart des cas) ou de dispositif médical (Daylong, Pierre Fabre, SVR ont investi ce type de statut), ces produits destinés à filtrer les rayonnements UV devraient plutôt être commercialisés sous celui de médicament, si l’on se réfère à leur efficacité en matière de prévention dans la survenue de cancers cutanés photo-induits. Dans la mesure où ils permettent aux entreprises de dégager un chiffre d’affaires substantiel, ces produits qui fleurissent sur différents créneaux de vente (GMS, pharmacie, parfumerie) dès les premiers beaux jours sont l’objet de publicités parfois trompeuses et de critiques souvent excessives. Il est, en effet, possible de trouver dans certains journaux, à quelques jours d’intervalle, des articles critiquant les filtres UV d’un point de vue toxicologique et écologique (effet perturbateur endocrinien, effet allergisant, toxicité pour les organismes marins... ) et d’autres mettant en avant des gammes entières de cosmétiques renfermant les mêmes filtres critiqués auparavant.
Il est également utile de préciser qu’un effet de mode existe dans le domaine. De nombreuses petites sociétés se sont créées ces dernières années et investissent peu à peu le créneau de la pharmacie. Leur credo repose sur l’utilisation d’ingrédients présentés comme sûrs d’emploi et éco-responsables.
Les filtres retrouvés dans les produits cosmétiques
D’un point de vue réglementaire, les filtres UV admis dans les produits cosmétiques sont au nombre d’une trentaine. On distinguera une majorité de filtres organiques (appelés improprement « filtres chimiques ») et deux filtres inorganiques (le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc). Ces filtres doivent être employés en respectant des doses limites d’emploi.
Parmi ces 30 filtres réglementés, on distingue des filtres dits « anciens », car sur le marché depuis de nombreuses années, et des filtres de nouvelle génération, d’apparition plus récente. On citera comme exemple de filtres anciens les salicylates (le salicylate d’éthylhexyl, l’homosalate), les cinnamates (éthylhexylmé-thoxycinnamate), les benzophénones (oxybenzone)... Ces filtres très étudiés (on trouve à leur sujet des centaines de publications scientifiques) sont accusés de mille maux, allant de l’effet allergisant à l’effet perturbateur endocrinien. Parmi les filtres récents, on citera les triazines (l’anisotriazine, la trisbiphenyl triazine) ou le dernier filtre venant d’entrer dans la liste des filtres UV admis, le méthoxypropylamino-cyclohexènylidène éthoxyéthylcyanoacétate (Mexoryl® 400). Concernant les filtres dits « récents », la bibliographie est beaucoup moins abondante, du fait, dans un certain nombre de cas, des brevets qui protègent ces filtres. Cela coupe, bien évidemment, court à toute polémique pouvant les concerner !
On signalera également le fait que parmi ces filtres on trouve deux filtres inorganiques, le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc, qui doivent être utilisés sous forme nanoparticulaire pour exercer pleinement leurs propriétés photoprotectrices. Pour des granulométries supérieures, ces ingrédients sont considérés comme des colorants, des agents couvrants retrouvés dans des spécialités destinées à traiter la crise hémorroïdaire (cas de la crème Titanoréïne renfermant du dioxyde de titane et de l’oxyde de zinc) ou l’érythème fessier (cas de la pâte à l’eau à l’oxyde de zinc).
Il existe donc un réel problème en matière d’efficacité dans le cas des sociétés qui se refusent à employer des nanoparticules et ne s’autorisent que les formes pigmentaires. Se présentant comme plus sûrs pour la santé, ces produits de protection solaire sont, en réalité, les plus dangereux.
Pour faire le distinguo entre les bons et les moins bons produits, voire les mauvais, il convient de connaître quels filtres UV sont admis par la réglementation et de vérifier leur présence dans les formules choisies. De manière schématique, on pourra se rappeler que les meilleurs produits sont des cosmétiques conventionnels (renfermant des filtres organiques nombreux et placés en haut de liste). Les cosmétiques bio, minéraux, ne seront quant à eux pas conseillés.
On luttera également contre l’idée selon laquelle les filtres UV sont toxiques et qu’il vaut mieux se protéger la peau avec des produits exclusivement naturels comme des huiles ou des beurres végétaux.
Il y a quelques années, les autorités de santé avaient signalé le problème concernant l’huile de karanja présentée comme photoprotectrice et avaient publié un avis aux fabricants précisant qu’un produit de protection solaire devait renfermer obligatoirement des filtres UV listés dans le Règlement (CE) no 1223/2009. Récemment, la société oOlution a mis sur le marché la première « huile solaire corps et visage avec une formule 100 % naturelle et végétale », présentée comme ayant « une efficacité 100 % végétale, sans filtres chimiques ou minéraux, sans danger pour [la] peau et la planète » sans aucune réaction, cette fois, des autorités de santé.
Méthodes permettant de déterminer l'efficacité des produits de protection solaire
Deux types de méthodes sont utilisables, les méthodes in vivo réalisées sur volontaires (en irradiant des individus dont le phototype permet la visualisation d’un coup de soleil) et les méthodes in vitro (fondées sur les propriétés physiques des préparations à tester). Il est important de mentionner que la réglementation européenne (celle-là même qui interdit les tests sur animaux) encourage la réalisation de tests in vitro, jugés à raison vraiment plus éthiques. Si l’on souhaite comparer ces deux types de méthodes, on se rend compte des biais inhérents à la méthode in vivo (tableau 4).
Doit-on conseiller l’application de filtres UV tous les jours ? S’il est important de protéger sa peau lors des expositions de loisir à l’aide de produits de protection solaire, il est en revanche totalement aberrant d’appliquer sur sa peau et en de multiples occasions des cosmétiques contenant des filtres UV. C’est pourtant le cas bien souvent puisqu’il est possible de trouver sur le marché des gels douche, des crèmes hydratantes, des BB crèmes, des rouges à lèvres, des vernis à ongles, des parfums... en contenant!
Si les filtres UV sont nécessaires en matière de prévention des cancers cutanés, il ne convient pas d’en abuser au quotidien, sur de longues années.
Zoom sur quelques idées fausses
Les idées fausses et les polémiques pullulent dans le domaine cosmétique, ce qui ne facilite pas la vie des industriels. Certaines controverses sont d’ailleurs habilement orchestrées par une fraction de l’industrie, qui y voit une chance : supplanter les leaders du domaine.
Il convient de balayer ces idées fausses et d’apporter une réflexion concernant les idées les plus courantes rencontrées (tableau 5).
CONCLUSION
Un cosmétique est un produit complexe qui nécessite de solides connaissances en matière de chimie, de biologie et de toxicologie afin de pouvoir être mis au point. La réglementation de 1976, née après l’affaire du talc Morhange, témoigne de la complexité de ces produits utilisés au quotidien. Afin d’être à la fois efficaces et sûrs d’emploi, ces produits doivent passer des batteries de tests qui seront d’autant plus nombreux que la société qui les met sur le marché possède le sérieux nécessaire à ses objectifs.
On ne s’improvise pas cosmétologue dans sa cuisine, on ne s’improvise pas cosmétologue en sortant d’une école de commerce... Remettre de la science au centre de la communication cosmétique... voilà certainement le défi à relever en ce début de XXIe siècle, un début de siècle friand d’informations sensationnelles, de manchettes qui font peur et d’informations tellement caricaturées qu’il est difficile d’y reconnaître la vérité.
Entre confiance absolue et peur panique, le dermatologue fera, sereinement, la part des choses en décryptant les compositions et en se gardant d’écouter les sirènes du marketing ou les rumeurs anxiogènes nées ici et là.
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