Publié le 20 oct 2022Lecture 6 min
La dermatite atopique : au-delà de la peau et du topique
Muriel GEVREY, Paris, D’après la session de FMC « Dermatite atopique : quand le dermatologue doit aller au-delà de la peau et du topique ». Avec Audrey Nosbaum (Lyon), Manuelle Viguier (Reims) Marie Tauber (Toulouse)
La dermatite atopique est souvent associée à des comorbidités. Les traitements systé- miques sont orientés par les maladies associées, avec de nouveaux médicaments à l’étude.
Aujourd’hui, on a un modèle multidimensionnel de l’atopie, qui évolue d’une prédisposition génétique à une réponse immunitaire innée puis une réponse adaptative de type II faisant intervenir les IL-4, 5,13 et IL-31. On parle de « marche atopique » ou plutôt de « trajectoires atopiques » qui peuvent se résumer en une association évolutive de pathologies atopiques(1).
> Les comorbidités
La prévalence des comorbidités dans la dermatite atopique (DA) est élevée. Elle s’élève à 50 % pour la rhinite allergique. L’asthme est associé à la DA dans 33 à 40 % des cas; la conjonctivite allergique, dans 25 à 50 % des cas, et l’allergie alimentaire est concomitante dans 13 à 15 % des DA(2).Il est intéressant de dépister ces morbidités pour adapter une stratégie thérapeutique globale dans l’optique d’une médecine personnalisée. En pratique et à titre préventif, la survenue d’un asthme et d’une rhinite chronique allergique sont des facteurs prédictifs de persistance d’une DA, ce qui offre un rationnel en faveur d'un traitement intensif(2).
> Atteintes oculaires
L’atteinte oculaire est multiple. Il existe différents types d’atteintes : la blépharite qui est une inflammation de la paupière antérieure (devant le bord libre de la paupière) ou postérieure (derrière la ligne des cils) ; l’œil sec ; la conjonctivite allergique qui associe prurit, larmoiement, brûlures et sensation de corps étranger ; la kérato-conjonctivite, potentiellement grave ; la cataracte sous-capsulaire et le kératocône.
Une étude descriptive rétrospective sur 98 patients souffrant dans 80 % de dermatite modérée à sévère entre 2018 et 2020 montre que 64 % souffrent d’œil sec, 42 % ont une conjonctivite, 33 % une blépharite postérieure, 31 % une blépharite antérieure. 21 % sont asymptomatiques, mais 15 % ont des lésions infracliniques (étude non publiée). La vigilance est de mise avec les collyres, mais les dermocorticoïdes ne sont pas impliqués dans la survenue des atteintes oculaires. Cinq facteurs de risque indépendants d’une atteinte oculaire associée se dégagent : rhinite allergique, sensibilisation allergique, atteinte de la tête et du cou, symptômes oculaires et taux d’IgE supérieur à 3000 UI/l.
> Asthme
Quant à l’asthme, il concerne 52 % de cette cohorte hospitalière, et dans 7 % il est infra-clinique. La sévérité de l’asthme est corrélée à l’éosinophilie et au taux d’IgE. Dans les cas d’asthme associé, il est partiellement ou non contrôlé dans deux tiers des cas. En pratique, devant une DA de l’adulte, il peut être intéressant de dépister systématiquement un asthme en cas de facteurs prédictifs. Pour l’asthme, les facteurs de risque indépendants sont la sensibilisation allergique et les éosinophiles supérieurs à 300/mm(3).
> De nombreuses pistes thérapeutiques à l'étude
Le traitement systémique est conditionné par l’âge, la sévérité, la localisation de la DA, les comorbidités et bien sûr le périmètre de l’AMM. Les recommandations européennes de 2018 sont strictes et indiquent que le traitement systémique est indiqué quand le SCORAD est supérieur à 50, ce qui exclut les DA modérées (25-50)(3). Pour autant, dans l’offre de traitement, les libellés AMM sont plus larges et font intervenir la notion de DA modérée à sévère.
Trois traitements systémiques existent : la ciclosporine chez les plus de 16 ans ; le dupilumab (anti-IL-4, anti-IL-13), première biothérapie en deuxième intention après la ciclosporine (ou intolérance ou contre-indication) chez l’adulte et dans les formes sévères après échec des dermo-corticoïdes à partir de 6 ans. Le baricitinib (anti-JAK) est réservé à l’adulte en cas d’échec, intolérance ou contre-indication à la ciclosporine. On attend des traitements en voie d’autorisation : l’upadacitinib (anti-JAK) dès l’âge de 12 ans en ATU de cohorte; le tralokinumab (anti-IL-13) en attente de remboursement et l’abrocitinib (anti-JAK en AMM européenne uniquement), tous les deux chez l’adulte dans le même schéma que le dupilumab par rapport à la ciclosporine.
Une métaanalyse en réseau montre que la ciclosporine est le traitement conventionnel le plus efficace et qu’elle est supérieure à l’azathioprine(4). À forte dose, l’efficacité de la ciclosporine est équivalente à celle du dupilumab. Les recommandations européennes préconisent une dose de ciclosporine de 4 à 5 mg/kg/jour avec une dose de maintenance plus faible. On constate une rapidité de la réponse dans les deux premières semaines et une rechute rapide après arrêt.
Une autre métaanalyse en réseau(5) montre que l’upadacitinib 30 mg et l’abrocitinib 200 mg se détachent comparativement au dupilumab 300 ou au baricitinib 2 mg sur le critère EASI 75 (différence significative). Sur l’IGA, critère exigeant, l’upadacitinib 15 mg et l’abrocitinib 200 mg font mieux que le dupilumab au prix d’une augmentation des effets indésirables.
L’atteinte de la tête et du cou est un facteur de moins bonne réponse au dupilumab(6). On peut constater une exacerbation voire un développement de lésions d’atopie dans cette localisation. L’anti-JAK de sauvetage (rescue) permet d’en venir à bout sur quelques cas(7). Il semble que les anti-JAK sont plus efficaces dans cette localisation.
En cas d’asthme associé, le dupilumab est indiqué en traitement de fond de l’asthme sévère avec inflammation de type 2 chez les adultes et les adolescents de plus de 12 ans insuffisamment contrôlés par des corticostéroïdes inhalés à dose élevée. L’effet des anti-JAK est inconnu sur l’asthme et aucun essai clinique n’est annoncé.
Quatre autres biothérapies indiquées dans l’asthme pourraient avoir une efficacité sur la DA. Il s’agit de l’omalizumab (anti-IgE), du mépolizumab (anti-IL-5), du benralizumab (anti-IL-5R) et du reslizumab (anti-IL-5). Pour l’instant, peu d’essais cliniques sont concluants sur l’effet des anti-asthmatiques sur la DA(8). Il existe quelques cas rapportés d’amélioration d’allergie alimentaire sous dupilumab, mais on ne dispose pas de données avec les anti-JAK.
> Des effets secondaires oculaires transitoires
Des effets indésirables oculaires sont décrits avec le dupilumab et le tralokinumab. Ils sont d’une fréquence de 8 % dans les essais cliniques avec le dupilumab dans la DA mais sont plus fréquents en pratique courante. Une petite étude monocentrique avec évaluation ophtalmologique systématique sur 46 patients relève une prévalence de 35 % d’atteintes oculaires dans un délai médian de 12 semaines, majoritairement des blépharoconjonctivites, ou l’apparition ou l’aggravation d’un œil sec(9). Ces effets oculaires ne sont pas associés à la sévérité ni à l’efficacité du traitement. Ils sont associés à la préexistence d’un syndrome sec et d’un eczéma des paupières, aux antécédents d’allergie alimentaire, à la présence d’IgE supérieure à 1000 UI/L (RR de 10). Elles s’améliorent malgré la poursuite du traitement. L’étude multicentrique DUPI-ŒIL sur 181 patients évalués avant traitement et à 4 mois montre que les blépharoconjonctivites concernent 18,8 % des patients(10). Elles sont associées avec la localisation tête et cou, le syndrome sec et la présentation érythrodermique. Les conjonctivites se stabilisent sous traitement.
La prévention passe par l’application de lubrifiant oculaire matin et soir avec en première intention des larmes artificielles, en anticipant des difficultés d’observance pour des patients parfois lassés des topiques. En traitement de la conjonctivite induite, on propose en première intention des larmes artificielles puis des corticoïdes en collyre, la ciclosporine en collyre et le tacrolimus pommade hors AMM. La collaboration avec un ophtalmologiste est conseillée. D’autres stratégies consistent à espacer les doses. L’étude SPA-CEDUPI montre une disparition des atteintes dans les 6 mois pour 74 % des patients atteints d’EI oculaires avec un maintien de l’efficacité à l’identique dans deux tiers des cas(11). Le relais dupilumab-upadacitinib après 24 semaines pourrait être interessant. Une étude face à face montre une incidence d’atteinte oculaire pour 8,4 % pour le dupilumab contre 1,4 % pour l’upadacitinib(12).
Autre molécule, le tralokinumab (anti-IL-13) étudié dans 5 essais cliniques ayant inclus 2 285 patients suivis à 16 semaines s’associe à une fréquence de conjonctivites de 7,5 %. Elles sont de sévérité modérée et associée avec la sévérité, les antécédents de conjonctivite et le nombre de comorbidités de DA(13).
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