Publié le 08 fév 2023Lecture 6 min
Maladies bulleuses auto-immunes, les difficultés de la prise en charge
Denise CARO, d’après la communication d’Anne Welfringer, Hôpital Necker-Enfants malades, Paris, SDPHN 2022
Les maladies bulleuses auto-immunes sont des maladies très rares chez l’enfant. Aussi dispose-t-on de peu d’études permettant de mieux les comprendre et de mieux les prendre en charge. On doit pour cela se contenter d’études de cas et de petites séries.
Les maladies bulleuses auto-immunes (MBAI) se caractérisent par la perte de l’adhésion interkeratinocytaire ou de l’ancrage dermo-épidermique, en raison de la présence d’anticorps dirigés contre les structures d’adhésion cellulaire de l’épiderme. Elles s’expriment cliniquement par des bulles, des érosions et des décollements au niveau de la peau ou des muqueuses et sont volontiers confondues avec des dermatoses infectieuses plus fréquentes à cet âge (impétigo, varicelle ou autres). Le diagnostic est difficile et souvent porté tardivement.
Diagnostic et prise en charge
On procédera par étapes. Dans un premier temps, en cas de suspicion de MBAI, l’histologie en microscopie optique et l’immunofluorescence directe (IFD) permettent de distinguer les maladies intra-épidermiques et sous épidermiques. Face à une maladie bulleuse (MB) intra-épidermique de type pemphigus, on recherchera des anticorps anti substances intercellulaires en immuno-fluorescence indirecte (IFI) et l’anti-desmogléine 1 et 3 en technique ELISA. Si on suspecte un pemphigus paranéoplasique, des anticorps spécifiques sont recherchés en immunoblot. Dans les MDAI de la jonction, si on suspecte une dermatose à IgA linéaire, l’IFI après clivage par NaCl permet de détecter des anticorps anti-membrane basale. Là encore, l’immunoblot est utile dans les cas atypiques pour identifier des anticorps spécifiques. En cas d’éventuelle pemphigoïde bulleuse, les anticorps anti-BP180 et anti-BP230 et anti-membrane basale sont recherchés en ELISA. Cette technique permet aussi de mettre en évidence les anticorps anti-collagène VII dans d’épidermolyse bulleuse acquise(1).
La prise en charge thérapeutique de ces patients n’est pas standardisée et elle repose sur des données obtenues à partir de séries de patients et d’avis d’experts. L’évolution à long terme est peu connue. Dans une série de 38 enfants, les MBAI évoluaient de façon chronique, avec des rechutes parfois tardives. Cependant, le pronostic à long terme semble globalement favorable avec une guérison dans une majorité de cas à l’âge adulte(2).
La dermatose à IGA linéaire
La MBAI sous-épidermique la plus fréquente chez l’enfant est la dermatose à IgA linéaire dont il existe différents sous-types cliniques. Contrairement à l’adulte, chez lequel la maladie est souvent associée à la prise d’un médicament, chez l’enfant il s’agit plutôt de formes idiopathiques. Classiquement, la maladie débute vers l’âge de 4-5 ans et se présente sous la forme d’une éruption erythemato -vesiculeuse ou bulleuse, prurigineuse ou non, assez stéréotypée. Les lésions groupées en « rosettes » ne sont pas toujours retrouvées et peuvent exister dans d’autres maladies de la jonction. Les lésions se situent au niveau des organes génitaux externes, du pourtour de la bouche et de l’anus, des fesses et des membres. Il y a peu d’atteintes muqueuses.
Chez le nourrisson ou chez le petit enfant, la dermatose à IgA linéaire est plus rare ; elle touche majoritairement les garçons. L’atteinte muqueuse est prédominante, particulièrement grave en cas de lésions oculaires, ORL ou oesophagiennes. Les lésions sont chroniques et évoluent vers la fibrose(3).
La dapsone est proposée en première intention, après élimination du déficit en G6PD. La dose d’attaque est de 0,5 mg/kg/j que l’on augmente progressivement à 1 ou 2 mg/kg/j. On associe des folates. La tolérance hématologique doit être surveillée (NFS et dosage de l’hémoglobine).
Les autres MB sous-épidermiques
La pemphigoïde bulleuse est très rare chez l’enfant avec deux pics d’âge d’apparition : l’un en dessous d’un an avec une atteinte principalement acrale palmoplantaire en « grappes de raisin », et l’autre aux alentours de 8 ans avec une atteinte muqueuse isolée notamment au niveau de la vulve. On peut parfois se demander s’il ne s’agit pas plutôt de pemphigoïdes de la muqueuse mal explorées. La maladie est de bon pronostic, en particulier chez le nourrisson. Dans une série de l’hôpital Necker-Enfants malades, les dermocorticoïdes ont donné de bons résultats. Anne Welfringer les propose en première intention. En cas d’atteinte muqueuse, il faut recourir à la dapsone ou éventuellement à la corticothérapie générale(2).
L’épidermolyse bulleuse acquise est la plus rare des MBAI de l’enfant (2 à 6 % selon les séries). Elle concerne principalement des enfants à peau noire, âgés de 7 ans en moyenne. Plusieurs formes cliniques ont été décrites : formes mécanico-bulleuses ou formes inflammatoires. La majorité des enfants ont des lésions muqueuses qui évoluent en fibrose. Les formes mécanicobulleuses se rapprochent des épidermolyses bulleuses héréditaires avec des bulles au niveau des extrémités et des zones de frottement, associées à une cicatrisation atrophique en grains de milium. Les formes inflammatoires miment les épidermolyses de la jonction. Le diagnostic de certitude sera fait grâce à l’immunomicroscopie électronique(4).
La dapsone est proposée en première intention dans des épidermolyses bulleuses acquises peu sévères. En cas de contre-indication, on recourt à la colchicine ou à la sulfasalazine. Dans les formes plus sévères, on discute en RCP l’utilité du rituximab (anti-CD20) ou de la ciclosporine. L’utilisation de corticothérapie par voie générale est limitée en raison des effets secondaires chez l’enfant. Il faut rappeler au patient (et aux professionnels de santé) l’importance d’éviter tout geste agressif en raison du risque de fibrose et de synéchie.
La dermatite herpétiforme est la manifestation extradigestive la plus fréquente de la maladie coeliaque. Elle est souvent associée à un terrain atopique. Le diagnostic est difficile ; il faut penser à une dermatite herpétiforme devant une dermatite atopique qui résiste aux corticoïdes avec persistance du prurit. La dermatite herpétiforme peut apparaître plusieurs années avant les manifestations digestives. Il faut savoir l’évoquer devant une éruption erythemato-papulovésiculeuse prurigineuse localisée de façon symétrique au niveau des coudes, des genoux et des fesses. La recherche d’une maladie coeliaque doit être systématique et effectuée selon les nouvelles recommandations européennes(5).
Les maladies bulleuses intra-épidermiques
Le pemphigus vulgaire est la forme la plus fréquente des maladies bulleuses intra-épidermiques chez l’enfant. Elle touche préférentiellement l’adolescent ou le préadolescent. L’atteinte muqueuse précède l’atteinte cutanée ; elle est plus fréquente et plus sévère que chez l’adulte. Elle concerne la bouche, les yeux et les parties génitales. Les lésions cutanées se situent au niveau du visage, du cuir chevelu et du haut du dos. Ce sont des bulles flasques(6).
Le pemphigus vulgaire répond bien à la corticothérapie par voie générale, mais ce traitement est déconseillé chez l’adolescent. Dans ce contexte, le rituximab, traitement de première intention chez l’adulte, peut-il être utilisé chez l’enfant ? Plusieurs séries pédiatriques rapportent l’efficacité de ce médicament (avec différents schémas d’administration). D’autres travaux sont nécessaires pour mieux appréhender sa tolérance, notamment le risque d’infection et d’hypogammaglobulinémie. Se pose également le problème de la vaccination avec une baisse de la réponse vaccinale(7-9).
Les autres formes de pemphigus sont très rares chez l’enfant. C’est le cas du pemphigus superficiel non endémique (il existe une forme endémique en Amérique du Sud) et plus encore du pemphigus paranéoplasique tout à fait exceptionnel. Le pemphigus superficiel se caractérise cliniquement par des bulles flasques très fragiles laissant place à des érosions superficielles, des lésions érythématosquameuses, croûteuses, linéaires ou groupées dans les zones séborrhéiques du visage, du cuir chevelu et du haut du dos.
Bien qu’elle soit rare chez l’enfant, devant une éruption bulleuse, une MBAI doit être suspectée et investiguée. En cas de présentation atypique, il ne faut pas hésiter à prendre l’avis d’un centre de référence qui fera des examens plus spécialisés. Un protocole national de soins des MBAI est en cours de rédaction et devrait paraître à la fin de l’année.
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