Maladie de système, Médecine interne
Publié le 29 mai 2023Lecture 6 min
Maladies systémiques : des stratégies thérapeutiques mieux définies
Denise CARO, D’après la communication du Dr Estibaliz Lazaro, interniste à l’hôpital Haut-Lévêque à Pessac, dans le cadre des JDP 2022.
L’année 2022 a été riche en publications dans le domaine du traitement des maladies systémiques, donnant lieu à quelques déceptions et à de nombreux espoirs. Tour d’horizon avec le Dr Estibaliz Lazaro, interniste à l’hôpital Haut-Lévêque à Pessac (33).
Alors que l’on dispose de peu de traitements efficaces dans la sclérodermie systémique, toute nouvelle piste thérapeutique mérite l’attention. FocuSSced est la phase d’extension de l’essai randomisé contrôlé qui avait comparé le tocilizumab (anti-IL-6R) à un placebo durant 48 semaines chez des patients atteints d’une sclérodermie systémique précoce (< 5 ans). Au terme de l’étude, le critère principal – l’atteinte cutanée évaluée par le score de Rodnan – n’était pas significativement différent dans les deux bras. En revanche, le tocilizumab préservait mieux la fonction pulmonaire que le placebo (critère secondaire)(1). L’essai a été poursuivi en ouvert, tous les patients recevant le tocilizumab durant 48 semaines supplémentaires. La phase d’extension confirme l’absence de bénéfice cutané mais l’intérêt de l’anti-IL-6 pour préserver le poumon : les patients anciennement sous placebo stabilisaient leur fonction pulmonaire durant cette deuxième phase(2). « Ces résultats mitigés interrogent sur le positionnement du tocilizumab dans le traitement de la sclérodermie systémique, souligne le Dr Lazaro. Les Américains l’utilisent pour protéger le poumon. »
SCLÉRODERMIE SYSTÉMIQUE : NOUVELLES DONNÉES SUR LES JAKI
Toujours dans le domaine de la sclérodermie systémique, de premières données sur les JAK-inhibiteurs (JAKi) viennent d’être publiées. Une étude pilote avec le baricitinib a été initiée, à la suite des résultats encourageants (diminution de l’épaisseur du derme) obtenus sur un modèle murin avec des JAKi ciblant JAK1 et JAK2. L’étude pilote conduite chez 10 patients atteints de sclérodermie systémique a montré une amélioration du score de Rodnan de plus de 50 % chez 4 d’entre eux avec une cicatrisation complète des ulcères digitaux, après 24 mois de baricitinib(3). « Bien que positifs, ces résultats sont très préliminaires et doivent être mis en balance avec les doutes soulevés récemment concernant la tolérance de cette classe thérapeutique », a précisé le Dr Lazaro. En effet, une étude récente a alerté les rhumatologues sur le risque d’événements cardiovasculaires ou de cancer chez les patients âgés de 50 ans et plus traités par le tofacitinib (inhibiteur de JAK1-JAK3) pour une polyarthrite rhumatoïde(4). « Il convient de rester prudent s’agissant de l’utilisation des JAKi chez les patients de plus de 65 ans avec des antécédents cardiovasculaires ou un risque de cancer », a estimé le Dr Lazaro.
LUPUS SYSTÉMIQUE : UNE ACTUALITÉ RICHE
Plusieurs publications récentes permettent de mieux définir les stratégies thérapeutiques dans le lupus systémique.
Tout d’abord, les résultats de la phase d’extension des essais TULIP1 et TULIP2 confirment l’intérêt de l’anifrolumab (anti-corps monoclonal humain de type immunoglobuline G1 kappa (IgG1κ). Rappelons que TULIP1 et TULIP2 comparaient l’anifrolumab à un placebo chez des patients atteints de lupus systémique sans atteinte rénale ou néphrologique, avec des cri-ères d’évaluation d’activité du lupus différents : SRI-4 pour TULIP1 et BICLA pour TULIP2. Après 52 semaines, seul TULIP2 était positif. Cependant, l’essai a été poursuivi 104 semaines supplémentaires, les patients gardant les mêmes traitements (anifrolumab ou placebo). Les résultats de cette phase d’extension montrent que les patients sous biothérapie continuent d’améliorer leur score de lupus (SLEDAI-2K) et ont un maintien du bénéfice dans le temps avec une épargne corti-sonique supérieure au bras placebo(5). Le traitement expose toutefois à un surrisque d’infection herpétique qui diminue au fil du temps. L’anifrolumab pourrait figurer dans l’arsenal thérapeutique du lupus systémique dans un futur proche.
NÉPHROPATHIE LUPIQUE : LA QUESTION DE L’ARRÊT DU TRAITEMENT
Autre question essentielle, quand arrêter le traitement immunosuppresseur chez des patients avec une néphropathie lupique ? Interrogation à laquelle l’étude WIN-LUPUS a tenté de répondre. Dans ce travail, des patients traités depuis 2 ou 3 ans pour une néphropathie lupique de classe III et IV ont été répartis en deux groupes : la moitié a poursuivi l’immunosuppresseur 24 mois supplémentaires et l’autre moitié a reçu un placebo. Au terme de la phase d’extension, les patients qui avaient arrêté le traitement (groupe placebo) depuis 2 ans n’avaient pas significativement plus de rechutes rénales(6). « Toutefois l’intérêt de l’arrêt du traitement immunosuppresseur n’est pas formellement démontré avec sans doute un risque accru de poussées lupiques sévères, a noté le Dr Lazaro. Il faut arriver à mieux définir les sous-groupes de patients qui pourraient bénéficier de l’arrêt sans prise de risque. »
Enfin, la publication des tout premiers résultats sur l’intérêt des CAR-T cells dans le traitement du lupus systémique réfractaire fait naître un réel espoir. Le CAR-T cell est un lymphocyte T prélevé chez un patient, dans lequel on introduit génétiquement un récepteur CAR capable de cibler une cellule d’intérêt. Utilisé en hématologie, il pourrait l’être dans le lupus, la cellule d’intérêt étant alors le CD19 capable d’éradiquer les lymphocytes B des patients avec un lupus systémique réfractaire. Cinq jeunes patients, avec un lupus systémique réfractaire évoluant depuis 4 ans en moyenne avec un SLEDAI médian de 16, ont bénéficié de la procédure CAR-T cell dans le cadre d’un essai compassionnel. Trois mois après la perfusion de CAR-T cells, sans aucun autre traitement, le score SLEDAI s’était effondré et les paramètres biologiques normalisés (protéinurie, complément C3, anticorps anti-dsDNA)(7).
« Cette approche thérapeutique totalement innovante est très intéressante dans le domaine des maladies auto-immunes, s’est enthousiasmé le Dr Lazaro. Évidemment on a un manque de recul et la question du coût et du risque d’iatrogénie des CAR-T cells reste à résoudre ».
DERMATOMYOSITE : INTÉRÊT DES IMMUNOGLOBINES POLYVALENTES D
Dans le domaine de la dermatomyosite, l’intérêt des immunoglobulines polyvalentes se précise. Dans un premier temps, des patients atteints de cette dermatose (corticodépendants) étaient traités par immunoglobuline polyvalente (2 g/kg toutes les 4 semaines) ou un placebo pendant 16 semaines. Puis tous les patients recevaient des IgIV pendant 24 semaines supplémentaires. Au terme de cette phase d’extension, les patients anciennement sous placebo rattrapaient le bénéfice de ceux traités depuis le début ; à noter un risque de thromboembolie non négligeable. « En 2022, la Haute Autorité de santé a accordé une extension d’indication des IgIV dans la dermatomyosite », a rappelé le Dr Lazaro(8).
SYNDROME VEXAS : LES SIGNES CUTANÉS
Un mot du VEXAS syndrome (Vacuoles Enzyme E1 activatrice de l’ubiquitine lié à l’X Auto-inflammatoire Somatique) qui pourrait se révéler être une maladie dermatologique. Sur les 111 patients atteints de ce syndrome enregistrés dans la base de données françaises, 83,6 % présentent des signes cutanés. Parmi ces manifestations dermatologiques, on retrouve : des dermatoses neutrophiles (39,6 %), des vascularites (25,9 %), des érythèmes noueux (12,9 %), des urticaires (8,6 %), des papules (21,5 %), des réactions aux sites d’injection (7,8 %) et des œdèmes périorbitaires (8,6 %). Sur le plan anatomopathologique, on note une prolifération myéloïde clonale UBA1 qui entraîne une dermatose neutrophilique avec un infiltrat myéloïde périvasculaire(9). Le syndrome de VEXAS est difficile à traiter. Les patients sont souvent corticodépedants. Dans ce contexte deux études évaluent l’intérêt de traitements à visée dermatologique : 5 des 11 patients traités par l’azacitidine ont une rémission(10), et 5 des 6 patients ayant eu une allogreffe de moelle ont répondu au traitement(11).
D’après la communication « Quoi de neuf en médecine interne » du Dr Estibaliz Lazaro, interniste à l’hôpital Haut-Lévêque à Pessac, dans le cadre des JDP 2022.
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