Publié le 15 juil 2012Lecture 11 min
Comment enrayer l’épidémie de rougeole ?
J. GAUDELUS, Service de Pédiatrie, CHU Jean Verdier, Bondy ; Université Paris XIII
En 2012, force est de constater que l’objectif d’enrayer l’épidémie de rougeole n’a pas été atteint, loin de là, puisque la France a vécu en 2011 une troisième vague épidémique de grande ampleur. La réponse à la question posée dans cet article découle de l’analyse des données concernant la transmission et la contagiosité de la maladie, l’épidémie elle-même et la couverture vaccinale. La mise en application des recommandations permettra d’enrayer l’épidémie et d’éliminer la rougeole comme l’ont déjà fait les pays de l’Europe du Nord depuis plus de 10 ans et le continent américain depuis 2002.
Illustration/figure 4. : rougeole chez un adulte. A la demande de l’OMS, la France s’est engagée en 2005 à contribuer à l’élimination de la rougeole dans la région Europe prévue initialement en 2010. Un plan d’élimination de la rougeole, et de la rubéole congénitale, a ainsi été élaboré (1) comportant essentiellement : l’amélioration de la surveillance de la rougeole par : • la déclaration obligatoire de la maladie ; • la confirmation biologique systématique des cas cliniques. l’augmentation de la couverture vaccinale ; la réduction du risque de transmission autour d’un cas. Les objectifs définis, correspondant à l’élimination de la rougeole, c’est-à-dire à l’interruption de la circulation du virus, sont de parvenir à une incidence de la rougeole inférieure à un cas confirmé par million d’habitants et par an. Pour la rubéole, l’objectif est de réduire à zéro le nombre de rubéole congénitale et à moins de un pour 100 000 naissances vivantes le nombre de rubéoles maternelles. Transmission et contagiosité de la rougeole La rougeole est une maladie très contagieuse qui se transmet par voie respiratoire. La période de contagiosité de la rougeole s’étend de J-5 à J+5 par rapport au jour d’apparition de l’éruption. Sa contagiosité peut être mesurée par le coefficient de reproduction ou Ro(2) qui exprime le nombre de sujets non protégés qui sont contaminés autour d’un cas de rougeole. Ce chiffre est de 15 à 17. Il se calcule selon l’équation Ro = βcd, β représentant la probabilité de transmission, c le taux de contact (ou nombre de contacts par unité de temps), d la durée de contagiosité. Il est d’autant plus élevé que la maladie est plus contagieuse. Le réservoir du virus est strictement humain (ce qui en fait une maladie théoriquement éradicable). La transmission se fait de personne à personne à partir des malades (il n’y a pas de porteur sain) par voie respiratoire par l’intermédiaire des gouttelettes infectées émises au moment de la toux (3). La contamination indirecte (à partir d’un objet souillé ou de l’air contaminé) est également possible. La pénétration du virus a lieu au niveau de la muqueuse nasale et peut être aussi conjonctivale. La période de contagiosité de la rougeole s’étend de J-5 à J+5, J0 étant le jour d’apparition de l’éruption (figure 1). Figure 1. Évolution clinique et biologique de la rougeole. Le taux d’attaque : pourcentage de sujets non protégés qui vont faire la maladie est de 90 %. La très grande contagiosité de la rougeole explique la difficulté à l’éliminer, c’est-à-dire à interrompre la circulation du virus. Plus une maladie est contagieuse, plus la couverture vaccinale nécessaire à son élimination est élevée. Pour la rougeole, il faut un taux de couverture vaccinale très élevé, supérieur ou égal à 95 % et deux doses sur tout le territoire. Rappelons que la deuxième dose est indispensable pour « rattraper » les 5 à 10 % des sujets qui ne se sont pas immunisés après la première dose. L’épidémie actuelle en France (4) Les deux premières années après la mise en place de la déclaration obligatoire, il y a eu une quarantaine de cas de maladies déclarées. Le début de la première vague épidémique a eu lieu lors du troisième trimestre 2008 et plus de 1 700 cas ont été déclarés entre octobre 2008 et octobre 2009 ; la deuxième vague d’octobre 2009 à octobre 2010 a comporté plus de 3 300 cas et la troisième vague d’octobre 2010 à octobre 2011 a fait état de plus de 16 000 cas déclarés soit un total de plus de 22 000 cas, en sachant que plusieurs arguments sont en faveur d’une sous-déclaration d’au moins 50 %. Comme ceci est attendu, on dénombre des complications graves : ainsi sur les 22 000 cas déclarés, il y a plus de 900 pneumonies graves, 26 encéphalites et 10 décès (parmi ces 10 décès, 9 sur 10 touchent des sujets de 10 à 30 ans et 7 sur 10 ont lieu chez des immunodéprimés) (figure 2). Figure 2. Les trois vagues successives d’épidémie de rougeole en France. L’incidence en fonction de l’âge au cours des trois vagues épidémiques montre une augmentation dans toutes les tranches d’âge, mais surtout chez les moins de 1 an et chez les plus de 15 ans, qui sont les tranches d’âge dans lesquelles la rougeole se complique le plus souvent (figure 3). Figure 3. Incidence annuelle de la rougeole selon l’âge. Évolution au cours des trois vagues épidémiques (2008-2011). Ce fait est corroboré par la proportion de cas déclarés hospitalisés par tranche d’âge : près de 40 % des rougeoles chez les moins de 1 an et un tiers des malades de plus de 15 ans ont été hospitalisés (figure 4/illustration). Cette proportion atteint pratiquement 50 % chez les plus de 20 ans. L’analyse du statut vaccinal des cas de cette épidémie fait apparaître, chez les sujets de 1 à 30 ans, que 80,2 % des cas sont non vaccinés, 14,5 % ont reçu une dose de vaccin et 5,1 % ont reçu deux doses de vaccin. Il est donc clair que cette épidémie est due à une insuffisance de couverture vaccinale et que l’arrêt de cette épidémie et l’élimination de la rougeole passent par une augmentation de la couverture vaccinale. Un argument supplémentaire pour l’augmentation de la couverture vaccinale, en particulier chez les plus de 20 ans, est fourni par les résultats de l’enquête séro-épidémiologique effectuée en 2009-2010 qui montre que 9 % des 20-29 ans sont séronégatifs vis-à-vis de la rougeole et sont donc susceptibles de la faire puisque le virus circule, alors que la proportion des séronégatifs chez les 30-39 ans n’est que de 2 % (5). Au cours des trois vagues épidémiques, l’incidence de la rougeole a augmenté dans toutes les tranches d’âge, mais surtout chez les moins de 1 an et chez les plus de 15 ans. La couverture vaccinale en France Les données concernant la couverture vaccinale sont issues des certificats de santé du 24e mois, des enquêtes en milieu scolaire effectuées en grande section de maternelle, en CM2 et en classe de 3e, de l’échantillon des généralistes, et de « vaccinoscopie » (6,7). Ces enquêtes montrent (tableaux 1 et 2) : pour la première dose, quelle que soit la source de données, la couverture vaccinale a augmenté à 24 mois ces dernières années, mais n’atteint pas encore le taux nécessaire de 95 %. Les données les plus récentes montrent qu’entre 24 et 35 mois, le taux de 90 % est dépassé. À 5-7 ans, 11 ans et 15 ans, le taux de 95 % est presque atteint ; pour la 2e dose chez l’enfant, les résultats sont moins bons : moins de 50 % à 24 mois jusqu’en 2006, et entre 60 et 70 % dans le groupe d’âge 24-35 mois pour les données les plus récentes de 2010. L’enquête vaccinoscopie 2010 montre que les objectifs visés : 95 % pour la première dose et 80 % pour la deuxième dose sont atteints à 31 mois, c’est-àdire avec un décalage de 7 mois par rapport aux objectifs, mais que les taux de couverture progressent d’une année sur l’autre. Les données les plus récentes montrent un taux de couverture vaccinale à 78,6 % à 6 ans (l’objectif est de 90 %), un taux de 74 % à 11 ans et à 86 % chez les 13-15 ans. Très peu de données sont connues chez l’adulte. Deux enquêtes récentes montrent chez les étudiants un taux de couverture vaccinale de 79,3 % pour la première dose, de 49,6 % pour la deuxième dose et de 49,7 % pour la première dose chez les soignants. Comment enrayer l’épidémie de rougeole ? Compte tenu des différents éléments rapportés précédemment, l’arrêt de l’épidémie de rougeole passe par l’augmentation de la couverture vaccinale et l’application des recommandations (8). L’arrêt de l’épidémie et l’élimination de la rougeole passent par une augmentation de la couverture vaccinale, et en particulier chez les plus de 20 ans. L’évolution des chiffres de couverture vaccinale chez le nourrisson et l’enfant montre que nous sommes en train de gagner la partie dans cette tranche d’âge, même s’il faut tout faire pour augmenter le taux de couverture de la deuxième dose et la faire le plus tôt possible, c’est-à-dire avant 24 mois. Compte tenu de l’augmentation du nombre des cas de rougeole chez les enfants de moins d’un an, l’âge de la première dose mérite d’être discuté. Rappelons que les recommandations actuelles sont de faire la première injection de vaccin trivalent dès l’âge de 12 mois et dès l’âge de 9 mois chez les enfants qui sont en collectivité. Pourquoi ne pas proposer de vacciner tous les nourrissons dès 9 mois, ce d’autant que les anticorps transmis de la mère à l’enfant au cours de la grossesse sont maintenant avant tout acquis par la vaccination des mères, sont à des taux moins importants et ont une demi-vie plus courte que les anticorps acquis par la maladie ? La réponse à cette question tient à des arguments de deux ordres : d’une part, plus de la moitié (56 %) des cas de rougeole avant 1 an touchent des enfants de moins de 9 mois, qui ne seraient donc pas protégés par une vaccination à l’âge de 9 mois ; d’autre part, l’immunogénicité du vaccin triple à l’âge de 9 mois mais est moins bonne qu’à l’âge de 12 mois. En effet, après la deuxième dose (administrée 3 mois après la première), lorsque les enfants ont reçu la première dose à 9 mois, le taux de séroprotection est de 94,6 % (IC 95 % : 92,3-96,4), alors qu’il est de 98,9 % (IC 95 % : 97,5-99,6) pour ceux qui ont reçu la première dose à 12 mois. Par ailleurs, la moyenne géométrique des titres d’anticorps est significativement plus basse chez les enfants immunisés à 9 mois(9). La diminution des rougeoles avant l’âge d’1 an passe donc avant tout par la vaccination de l’entourage du nourrisson : enfants mais aussi adultes. L’arrêt de l’épidémie de rougeole nécessite la vaccination des adultes. L’enquête séro-épidémiologique et les données épidémiologiques de l’épidémie actuelle imposent, si on veut enrayer l’épidémie de rougeole, de vacciner par deux doses toutes les personnes nées depuis 1980 comme le recommande le dernier calendrier vaccinal( 9). L’application de cette recommandation nécessite que les médecins incitent à la vaccination des adultes en toute occasion. Seule la vaccination des adultes permettra, d’une part, de les protéger (rappelons qu’après l’âge de 20 ans, plus d’un adulte sur deux qui a la rougeole est hospitalisé) et, d’autre part, de protéger de l’infection les nourrissons de moins de 1 an. L’amélioration de la couverture vaccinale des soignants et du personnel de la petite enfance est également nécessaire : « Le Haut Conseil de la santé publique recommande une dose de vaccin trivalent pour les personnes nées avant 1980 non vaccinées et sans antécédent de rougeole (ou dont l’histoire est douteuse) exerçant les professions : de santé : en formation, à l’embauche ou en poste en priorité dans les services accueillant des sujets à risque de rougeole grave ; en charge de la petite enfance. Pour l’ensemble de ces personnes, si les antécédents de vaccination ou de rougeole sont incertains, la vaccination peut être pratiquée sans contrôle sérologique préalable systématique »(9). Enfin, la vaccination post-exposition des sujets contacts potentiellement réceptifs (n’ayant pas été vaccinés par deux doses et sans antécédent certain de rougeole) doit contribuer à enrayer l’épidémie de rougeole (encadré). Quelques données récentes permettent d’apprécier l’efficacité de cette mesure. L’étude de I. Barrabeig et coll.(10) a montré une efficacité de la vaccination de 90,5 % lorsque celleci est effectuée dans les 72 heures, et l’étude de V. Sheppeard et coll., une efficacité de 100 % dans les mêmes conditions(11). Conclusion L’épidémie de rougeole qui sévit en France depuis le dernier trimestre 2008 a touché plus de 22 000 personnes et a été responsable de plus de 900 cas de pneumonies graves, de 26 cas d’encéphalites et de 10 décès. Les vaccins dont nous disposons sont efficaces et induisent une immunité à vie. Cette épidémie est clairement due à l’insuffisance de couverture vaccinale. Si les résultats dont nous disposons permettent d’être optimiste en ce qui concerne la vaccination des enfants – encore qu’il faille atteindre les objectifs fixés, ce qui n’est pas encore le cas –, il est nécessaire de vacciner par deux doses tout sujet jusqu’à l’âge de 32 ans en 2012, car 9 % des sujets de 20-29 ans en 2009-2010 n’étaient pas protégés contre la rougeole. Il est, par ailleurs, nécessaire d’augmenter le taux de couverture vaccinale des soignants et des personnels de la petite enfance. Enfin, la vaccination post-exposition s’est montrée efficace si elle est pratiquée dans les 72 heures, ce qui nécessite de mobiliser les énergies dès que le diagnostic de rougeole est suspecté.
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