Publié le 02 oct 2014Lecture 10 min
Conduite à tenir devant une suspicion d’allergie aux implants métalliques
E. AMSLER, Service de dermatologie et allergologie, hôpital Tenon, Paris
L’allergie aux implants métalliques reste un phénomène rare dont le diagnostic et la prise en charge sont difficiles. Des articles récents proposent des approches pragmatiques particulièrement en orthopédie(1,2). Autant en matière d’objet de la vie courante, l’éviction du métal, particulièrement du nickel est relativement simple à réaliser et peut être proposée à visée diagnostique, autant pour les métaux implantés, la décision d’éviction ne peut être prise à la légère. Le problème se pose pour les implants métalliques en bouche, le matériel orthopédique, les cathéters, stents et pacemakers en cardiologie, les dispositifs intra- utérins… Comme toujours en matière d’allergie, le diagnostic repose sur un tableau clinique évocateur conforté par la réalisation de tests allergologiques orientés. Un patch test positif à un métal ne signe pas l’allergie et l’évaluation de la pertinence de cette positivité est une étape indispensable.
Métaux implantés en orthopédie Différents alliages sont utilisés dans le matériel d’ostéosynthèse et dans les prothèses, acier inoxydable (alliage de nickel, chrome et cobalt), mais aussi titanium (titane, aluminium et vanadium), vitallium (alliage de chrome et cobalt)… Des réactions cutanées inflammatoires en regard du matériel orthopédique peuvent rarement survenir (eczéma, inflammation, retard à la cicatrisation…), voire des réactions cutanées systémiques. Sont aussi rapportées dans la littérature des complications extra-cutanées (descellement de prothèse, douleurs, gonflement et inflammations chroniques, pseudotumeurs inflammatoires, ALVAL pour « acute lymphocytic vascular associated lesions »). Ces complications extracutanées peuvent avoir de nombreuses autres causes en dehors de l’allergie et leur lien avec une allergie au métal reste sujet de débat(1,2). À ce jour, il n’est pas clairement défini, si les patients préalablement sensibilisés aux métaux ont un risque accru de survenue de complication allergique après implant métallique orthopédique(1). Thyssen et coll. ont proposé en 2011 des critères objectifs pour aider à déterminer le lien entre manifestations cliniques et matériel métallique orthopédique(1). Critères objectifs en cas de dermatose(1) – Dermatite chronique apparue dans les semaines où les mois suivant la pose de l’implant métallique. – Éruption en regard du métal implanté. – Aspect en faveur d’une dermatite (érythème, induration, papules et vésicules). – Dans de rares cas, une dermatite de contact systémique caractérisée par une éruption généralisée prédominant dans les plis. – Une histologie d’eczéma allergique de contact. – Un patch-test positif pour un métal présent dans l’implant (le plus souvent forte réaction positive). – Patch-test positif à de faibles dilutions du métal soupçonné. – Test de transformation lymphoblastique positif pour le métal. – Dermatose résistante au traitement. – Guérison complète après ablation de l’implant. Critères objectifs en cas de descellement, défaillance, douleurs ou inflammation chronique(1) – Histologie compatible avec une réaction d’hypersensibilité retardée. – Patch-test positif pour un métal présent dans l’implant (le plus souvent forte réaction positive). – Test de transformation lymphoblastique positif pour le métal. – Guérison complète après ablation du matériel. Dispositifs intravasculaires : stents, pacemakers et cathéters Stents Les principaux alliages utilisés dans les stents sont le Nitinol (mélange de nickel et de titane), l’acier inoxydable et des alliages à base de cobalt. L’or est, quant à lui, abandonné. La question a été posée du rôle éventuel de l’hypersensibilité allergique au métal en cas de resténose intrastent (RSI), par le biais de l’inflammation endovasculaire créée. Les études ne retrouvent pas d’association entre allergie au nickel et/ou chrome et le risque de resténose ; en revanche, il y avait une corrélation positive entre l’allergie de contact à l’or et la resténose avec les stents à l’or(3). Les cas d’allergie aux pacemakers sont rares dans la littérature, les métaux n’étant pas les seuls matériaux susceptibles d’entraîner une allergie(2). Il s’agit en général de dermatite localisée sur la peau en regard, néanmoins l’infection est une cause beaucoup plus fréquente que l’allergie en cas d’inflammation(4). Cathéters veineux Des cas de dermatose de contact systémiques ont été rapportés à des allergies au nickel contenu dans des cathéters de marque Optiva(5,6). Une dermatose de contact systémique survient lorsqu’un allergène auquel le patient a été préalablement sensibilisé par contact cutané, est administré par voie systémique (orale, IM, IV, inhalation). Le tableau clinique rapporté correspond à une dermatose généralisée prédominant dans les plis et aux fesses. Le diagnostic de ces cas a été confirmé par un patch test fortement positif au nickel et sur- tout la mise en évidence du relargage d’ions nickel lors de la perfusion au travers du cathéter(5,6). Dispositifs intra-utérins contraceptifs (DIU) Concernant les dispositifs intra-utérins temporaires, les cas rapportés d’allergie dans la littérature sont anecdotiques et rares. Une allergie au cuivre contre-indique la pose de DIU au cuivre. Les micro-inserts ESSURE® entraînent une stérilisation tubaire définitive. Il s’agit d’implants en Nitinol (alliage de nickel et titane). Leur pose est contre-indiquée en cas d’allergie connue au nickel. L’étude de phase 2 entre 2001 et 2010 évaluait les réactions liées à une allergie au nickel contenu dans le micro- insert à 0,01 %(7). Matériel orthodontique 45 % des adolescents auraient un appareil orthodontique fixe ou amovible(8). L’acier inoxydable, mélange de nickel chrome cobalt est l’alliage le plus fréquemment utilisé. Les métaux, notamment le nickel, ne sont pas les seuls allergènes potentiels, les résines méthacrylates ou les caoutchoucs ont aussi été incriminés. En bouche, les réactions rapportées sont des stomatites, des chéilites, des atteintes commissurales, voire des cas d’eczéma de contact systémique. La littérature sur le sujet est pauvre, constituée essentiellement de cas cliniques parfois contestables ou de petites séries. Des études in vivo et in vitro ont mis en évidence la libération d’ions nickel par les appareils orthodontiques, néanmoins la sensibilisation au nickel par ceux-ci est jugée improbable(9). Une étude suédoise récente vient confirmer que le port d’un appareil orthodontique avant de percer les oreilles protègerait d’une sensibilisation au métal d’un facteur de 1,5 à 2(8). Ces résultats supportent le concept de l’induction de tolérance par administration orale de nickel. En pratique, dans la situation rare de survenue d’une dermatose suspecte d’être liée au port d’un appareil orthodontique, si le test à un métal ou à un autre composant de l’appareil s’avère très fortement positif, le retrait de l’appareil peut être discuté. Alliages, dentaires, amalgames, couronnes, implants… Les amalgames Les amalgames sont composés de mercure, d’argent, d’étain et de cuivre. Les réactions les plus souvent rapportées aux amalgames sont les lésions lichénoïdes orales. Leur distinction d’un authentique lichen plan n’est pas possible tant cliniquement qu’histologiquement selon certains auteurs(10). La survenue de lésions lichénoïdes de la muqueuse buccale ou de la langue, localisées en regard d’amalgame semble être la situation la plus « évocatrice »(12). Le mercure est le métal retrouvé le plus souvent positif en cas d’exploration allergologique(12). Dans ce cas de figure, certains proposent le remplacement de l’amalgame uniquement en cas de positivité du test au mercure ou à l’amalgame ; pour d’autres, ce remplacement est à discuter même si les tests sont négatifs(11,12). Couronnes, implants De nombreux alliages sont utilisés, comportant des métaux divers (nickel, cobalt, chrome, molybdène, titane…) ; l’or est aujourd’hui délaissé au profit de métaux non précieux et surtout de résines. Il est fréquent que les patients ne con - naissent pas la nature des alliages présents en bouche. La littérature sur le sujet est difficile à interpréter. Il s’agit soit de cas cliniques incriminant un métal en bouche avec évolution favorable au retrait, soit de séries, le plus souvent rétrospectives, de patients aux symptômes hétérogènes testés par une batterie dentaire, la pertinence des tests étant parfois discutable. De plus, le devenir des lésions n’est pas toujours connu. Parmi les symptômes faisant suspecter une allergie, on retrouve des tableaux très différents comme des lésions lichénoïdes, des stomatites, gingivites, glossodynies ou burning mouth syndrome, chéilites, mais aussi aphtose récidivante…(13,15). La fréquence des tests positifs pour les métaux est très diverse d’une étude à l’autre. Ainsi, dans une étude rétrospective récente portant sur 206 patients testés pour suspicion d’allergie aux implants dentaires, on ne retrouvait que 28 tests positifs, jugés pertinents dans la moitié des cas, soit 7 %(13). À l’inverse, dans une autre étude rétrospective portant sur 331 patients, les tests étaient retrouvés positifs chez 45 % d’entre eux, avec un taux très important de tests évalués pertinents(15). De même, selon les symptômes, les pourcentages de positivités sont très variables rendant les conclusions difficiles. Ainsi, parmi les patients avec lésions lichénoïdes buccales, moins de 15 % des patients testés avaient un test positif pertinent dans l’étude de Rapp(13), 40 % dans l’étude de Yiannias(14) et environ 33 % dans l’étude de Togerson(15). Pour les stomatites, 22 % avaient un test positif pertinent(13) contre 50 %(15). L’or, le nickel et le palladium sont parmi les métaux souvent retrouvés positifs(13,15). L’allergie à l’or était considérée autrefois comme extrêmement rare, mais depuis les années 90, des études rapportent des taux élevés d’allergie à l’or. Néanmoins, les tests à l’or sont difficiles à interpréter(11) ; de plus, les taux de positivité varient, là encore, fortement d’une étude à l’autre, 28 % chez des patients porteurs de lésions lichénoïdes orales(10) comparé à moins de 5 % chez 206 patients avec symptômes divers(13). En pratique, l’allergie aux métaux implantés en bouche reste un phénomène rare, ce diagnostic étant souvent suspecté à tort tant par les patients que par leur dentiste. Faut-il faire un bilan allergologique avant la pose ? La plupart s’accordent pour dire que les patients sans histoire d’allergie au métal ne doivent pas avoir de test prédictif avant implantation métallique(1). Le bilan allergologique sera réservé aux patients ayant déjà une histoire d’intolérance allergique à un implant métallique ou ayant une histoire clinique importante d’intolérance au métal(1,2). Conduite à tenir en cas de suspicion d’allergie au métal d’un implant Thyssen et coll. ont récemment proposé un algorithme en cas de suspicion d’allergie selon le type d’implant suspecté. Les tests allergologiques doivent être orientés selon la nature de l’alliage. Des tests avec des disques de l’alliage peuvent également être réalisés si le matériel est accessible. Certains réalisent des tests sanguins, test de transformation lymphoblastique dont la place dans le diagnostic reste à définir, les patch-tests restant le « gold standard ». Une fois le bilan allergologique réalisé et une positivité d’un test notée, Thyssen et coll. proposent une conduite à tenir, non basée sur des preuves (figure). S’il existe des symptômes faisant suspecter une allergie au métal, la question de l’ablation peut être posée mais sa réalisation doit être discutée. Si celle-ci est déraisonnable, l’équipe de Thyssen propose de tenter une corticothérapie générale 3 semaines. Si, à l’inverse, l’ablation reste raisonnable elle peut être réalisée, l’implant pouvant être remplacé par un alliage toléré, ou bien encore l’implant pourrait être recouvert de PTFE (polytétrafluoroéthylène). Bien sûr, la découverte d’un test positif à un métal présent dans un implant qui ne pose aucun problème ne doit entraîner aucune action. En conclusion Les cas d’allergie vraie à un métal implanté restent des situations rares et il faut savoir raison garder. L’évaluation de la pertinence des tests est indispensable. Dans ce type de situation, la collaboration allergologue/clinicien est importante.
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