Publié le 20 nov 2017Lecture 5 min
Acrodermatite chronique atrophiante : souvent confondue avec un syndrome post-phlébitique !
Philippe BERBIS, Service de dermatologie, Hôpital Nord, CHU de Marseille
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La borréliose de Lyme est une infection multisystémique due à Borrelia burgdorferi spirochète transmis par la piqûre de la tique Ixodes. Cette spirochétose évolue, non traitée, en trois phases : phase précoce marquée au plan cutané par l’érythème migrant, phase secondaire marquée par les pseudo-lymphomes cutanés, phase tardive marquée par l’acrodermatite chronique atrophiante (ACA), très rarement observée, avec probablement de nombreux cas ignorés compte tenu de l’aspect peu spécifique de la symptomatologie. L’ACA est due principalement à Borrelia afzelii (sérotype 2, OSPC, groupes Af5 Af2 et Af6(1)). En effet, le caractère peu spécifique des symptômes de l’ACA, se rapprochant de ceux de l’insuffisance veineuse post-phlébitique et l’aspect tardif, voire très tardif, des signes cliniques par rapport à la phase précoce (passée, en règle, inaperçue) font que le diagnostic est souvent tardif. Ceci est d’autant plus délétère qu’à ce stade des signes systémiques, notamment neurologiques, peuvent s’installer de manière durable et être invalidants. Le rôle du dermatologue est donc au premier plan.
Observation
Une patiente âgée de 62 ans consultait pour une dermatose chronique de la jambe et du pied droit, évoluant depuis 5 ans. L’aspect était celui de lésions érythémato-violacées (figure 1), prurigineuses, diffuses, prédominant sur la face latéro-externe du mollet et très nettement au niveau du pied où un aspect livédoïde était présent, de même qu’un aspect atrophique et scléreux par endroits (figure 2). Le mollet montrait des lésions plus récentes, érythémateuses, légèrement infiltrées et atrophiques par plaques (figure 3). La jambe gauche était indemne. Elle était suivie depuis plusieurs années pour ce qui avait été diagnostiqué syndrome postphlébitique, sans pour autant d’antécédent phlébitique et avec des dopplers itératifs qui n’avaient montré qu’une insuffisance veineuse superficielle modérée. Les phlébotoniques et les dermocorticoïdes étaient sans effet et la dermatose continuait lentement mais progressivement à se développer. La patiente ne se plaignait d’aucun autre symptôme, notamment articulaire, musculaire ou neurologique. L’examen clinique était normal par ailleurs.
Figure 1. Lésions érythémato-violacées avec atrophie.
Figure 2. Aspect atrophique et scléreux du dos du pied.
Figure 3. Plaques érythémateuses et infiltrées du mollet.
L’analyse microscopique de la biopsie mettait en évidence sur toute la hauteur du derme un infiltrat interstitiel diffus de densité modérée (figure 4). Cet infiltrat était polymorphe, constitué de nombreux plasmocytes (figure 5) associés à des lymphocytes. Il existait un renforcement périvasculaire. On notait la présence d’une fibrose collagène d’aspect réticulé du derme superficiel et profond ainsi qu’une atrophie des annexes pilo-sébacées.
La sérologie Borrelia donnait les éléments suivants : sérologie ELISA IgG positif, IgM négatif ; Western blot positif : en IgG (au moins 3 bandes) et en IgM (au moins 2 bandes dont une pour Borellia afzelii).
Le diagnostic d’ACA était porté, et un traitement par doxycycline 200 mg par jour pendant 21 jours entraînait un blanchiment des lésions, ne laissant persister que l’aspect scléroatrophique du dos du pied.
Figure 4. Infiltrat dermique mononucléé.
Figure 5. Présence de plasmocytes.
Discussion
L’ACA est donc l’expression dermatologique de la phase tardive de la borreliose de Lyme. Le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est variable, long en règle générale (2 mois à 10 ans dans la série de Lenormand(2)), 9 mois en moyenne dans l’étude rétrospective de Binder et coll. (citée in Zalaudek(3)). Le souvenir d’une piqûre de tique est rarement présent, de même que celui d’un érythème migrant initial. La topographie préférentielle de l’ACA est, comme dans notre observation la face latérale des extrémités des membres inférieurs. Le caractère asymétrique des lésions doit éveiller l’attention. Des localisations atypiques, notamment faciales, ont été exceptionnellement rapportées(4). La symptomatologie est chronique et les lésions se développent très progressivement. Initialement, les lésions apparaissent légèrement inflammatoires, adoptant une couleur bleu-violacé, non chaudes, plus ou moins œdémateuses, mal limitées, indolores ou peu symptomatiques. Les lésions deviennent progressivement atrophiques, l’épiderme principalement avec dans les formes avancées, un aspect en « papier à cigarettes » caractéristique laissant transparaître le réseau vasculaire sous-jacent, le derme étant également atrophique. Des télangiectasies plus ou moins abondantes sont visibles dans certaines formes. Dans 10 à 30 % des cas, des aspects sclérodermiformes s’observent sous forme de nodules fibreux para-articulaires ou de bandes scléreuses qui limitent le jeu des articulations. Des aspects plus rares ont été rapportés : dactylite violacée, aspect pseudoréticulé(2). L’ACA s’inscrivant dans une forme tardive de borréliose, la recherche de localisations systémiques doit être systématique. Celles-ci restent cependant très rares, en dehors des localisations neurologiques périphériques, qui peuvent se manifester par des paresthésies des membres inférieurs. Les mono névrites ou les polynévrites sont rapportées jusqu’à 60 % des cas (cité in(3)). Des arthrites et des tendinites sont plus rare ment rapportées(5). Le principal diagnostic différentiel, source de confusion, est le syndrome post-phlébitique. Plus rarement, il peut se poser avec un livédo, un lymphœdème, un lichen scléro-atrophique, une dermatomyosite, une polyarthrite, une morphée. Dans tous les cas, l’aspect atrophique, dermo-épidermique, oriente fortement vers une ACA.
Une revue multicentrique française récente(2), à propos de 20 cas, a bien décrit les différents aspects microscopiques de l’ACA. Les lésions se présentent la plupart du temps sous forme d’un infiltrat lymphocytaire dermique, interstitiel et périvasculaire, avec présence de plasmocytes en nombre variable et d’histiocytes. L’infiltrat peut être superficiel, en bande sousépidermique, ou plus diffus dans le derme. On note parfois la présence de télangiectasies en nombre variable. Des aspects fibreux, voire scléreux sont observés dans 25 % des cas, particulièrement au sein des lésions nodulaires, ou en bandes fibreuses, ou sclérodermiformes. Parallèlement, on note une atrophie plus ou moins marquée des fibres collagènes et élastiques, responsables de l’aspect atrophique des lésions tardives. Plus rarement, et de manière moins spécifique, ont été rapportés des formes lichénoïdes, à type de granulome annulaire ou des aspects pseudo-lymphomateux. Les formes pseudo-lymphomateuses, portant tant sur le contingent lymphocytaire T que B, très rarement décrites, sont d’autant plus difficiles à interpréter nosologiquement que des aspects monoclonaux tant sur le contingent lymphocytaire que sur le contingent plasmocytaire ont été récemment rapportés(6). L’épiderme est souvent atrophique, de même que le derme. Le diagnostic, évoqué au plan anatomo-clinique, est confirmé par les données bactériologiques. Le diagnostic d’ACA repose en première intention sur la sérologie en ELISA, confirmée par l’immunoblot. La sérologie est un élément indispensable au diagnostic. La recherche de Borrelia burgdorferi au sein des lésions cutanées par PCR a une sensibilité de 30 % (cité in(3)). Une PCR cutanée négative n’exclut donc pas le diagnostic d’ACA si les aspects anatomo-cliniques et la sérologie sont compatibles.
Le traitement de l’ACA repose sur la doxycycline (200 mg par jour pendant 21 à 28 jours) ou la ceftriaxone pendant 14 à 21 jours. La réponse, comme dans notre observation, est généralement favorable.
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