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Dermatologie générale

Publié le 18 oct 2017Lecture 10 min

La main des sclérodermies

Camille FRANCÈS, Patricia SENET, Hôpital Tenon, Paris

Les lésions cutanées des mains de la sclérodermie sont d’une grande aide au diagnostic et source principale du handicap fonctionnel de la maladie d’où l’intérêt d’une prise en charge précoce et adaptée.

Sclérose La sclérose débute habituellement aux extrémités en particulier aux doigts à l’origine de la sclérodactylie qui s’installe progressivement. Les doigts sont souvent initialement œdémateux, boudinés (figure 1). Les pulpes deviennent lisses effaçant partiellement les dermatoglyphes. Secondairement, la peau apparaît luisante, indurée, adhérente aux plans profonds notamment sur les faces dorsales des phalanges. Peu à peu, les mouvements sont limités avec impossibilité d’extension des doigts (figure 2), les articulations se fixent en flexion avec un aspect des doigts effilés en griffe (figure 3). Figure 1. Doigts œdématiés, dits « boudinés » à une phase initiale de sclérodermie. Figure 2. Sclérose des doigts avec enraidissement articulaire  limitant l’extension des mains. Figure 3. Sclérose cutanée avec rétraction en flexion des doigts. Selon un consensus d’experts, quel que soit le score de Rodnan, la première ligne de traitement pour traiter la sclérose cutanée est le méthotrexate à la dose de 15 à 25 mg/semaine. En seconde ligne, le mycophénolate mofetyl (2-3 g/j, 12 mois) est proposé en association avec le méthotrexate par 77 % des avis d’experts, à la place du méthotrexate dans 23 % des avis(1). Ces données ne sont confortées par aucune étude de grande ampleur. D’autres traitements ont été essayés dans de petites séries, ce qui ne justifie pas leur usage courant en l’absence de données plus convaincantes. Ainsi, le fresolimumab, anticorps ciblant les 3 isoformes du TGFß, dans une étude ouverte sur 15 cas avec un Rodnan médian à 24(2), a permis une amélioration notable du score cutané (-6 à la 11e semaine et -9,5 à la 17e semaine), avec une remontée du score à la 24e semaine (effet fin de dose ?). Les effets du rituximab (1 g x 2 avec une nouvelle perfusion dans 8 cas) ont été également bénéfi ques sur la sclérose cutanée de 20 sujets avec diminution du Rodnan de 22 à 11 à 12 mois(3). Le tociluzimab, antagoniste du récepteur de l’IL-6 semble inefficace. Le prurit, ressenti par plus de 40 % des sujets avec une sclérodermie systémique, pourrait être amélioré par des émollients ou éventuellement une photothérapie. La rééducation fonctionnelle des mains est fondamentale pour combattre la limitation de la mobilité. Manifestations vasculaires Un phénomène de Raynaud est présent dans plus de 95 % des cas, précédant les autres signes de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Des mesures préventives du phénomène de Raynaud sont indispensables : port de gants chauds ou chauffants, bains de paraffine, physiothérapie… L’arrêt de l’intoxication tabagique est indispensable. Les bétabloquants seront arrêtés s’ils ne sont pas indispensables. En première intention, le phénomène de Raynaud (figure 4) est traité par des inhibiteurs calciques (surtout nifédipine ou amlodipine mais aussi diltiazem, nicardipine) avec une amélioration dans 25 % des cas ; dans les grandes métaanalyses, ces médicaments ont montré qu’ils réduisaient la fréquence et la sévérité du syndrome de Raynaud (figure 5). Figure 4. Phase syncopale d’un syndrome de Raynaud de la main et du pied. Figure 5. Schéma de prise en charge d’un syndrome de Raynaud au cours d’une sclérodermie systémique. En deuxième intention, des perfusions d’ilomédine (0,5-2 ng/kg/min pendant 3 à 6 heures, 5 jours de suite) sont souvent prescrites en plus des inhibiteurs calciques. Des études contrôlées ont montré que les inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (sildénafil 20 mg x 2-3/j ou vardénafil) réduisaient également la fréquence et la gravité des attaques ; cependant, ces médicaments n’ont pas encore l’autorisation de mise sur le marché dans cette indication. Certains inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine, tels que la fluoxétine, (20 mg/j) ont montré un bénéfice chez certains patients(4). Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE) ou les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine peuvent également être considérés. L’aspirine ou le clopidogrel (Plavix®) sont théoriquement intéressants dans les manifestations ischémiques de la sclérodermie sans que leur effet bénéfique n’ait été clairement démontré(5). D’autres traitements sont en cours d’évaluation comme l’injection de toxine botulique. Les troubles trophiques sont très fréquents, observés dans plus de la moitié des cas, localisés principalement aux doigts : ulcérations, cicatrices stellaires, hyperkératose (figure 6), nécrose (figure 7), gangrène digitale, ongles dystrophiques avec épaississement de la cuticule, ralentissement de la croissance et courbure anormale. Il est classique de différencier 3 types d’ulcérations : les ulcères de l’extrémité distale palmaire des doigts (figure 8), liés principalement à l’ischémie cutanée ; les ulcères situés en regard des convexités articulaires déformées, liés principalement aux microtraumatismes (figure 9) ; les ulcères survenant sur les lésions de calcinose cutanée, pouvant survenir sur toutes les zones digitales (figure 10). En fait, les mécanismes ischémiques et traumatiques sont le plus souvent intriqués, induisant un retard de cicatrisation dans tous les cas, exposant le doigt à une surinfection (figure 11) et à un risque accru d’amputation. Les ulcères digitaux sont fréquents au cours de la sclérodermie (15-32 % d’ulcère actif et 35 à 58 % dans les antécédents), surtout chez les sujets jeunes, de sexe masculin, avec une sclérose cutanée diffuse, des anticorps anti-Scl 70, une évolutivité rapide de la sclérose(6). Les ulcères digitaux ont un impact majeur sur la fonction de la main avec un retentissement important sur le travail et l’activité quotidienne et une augmentation de l’anxiété. Figure 6. Lésions ischémiques multiples des doigts. Figure 7. Nécrose surinfectée péri-unguéale. Figure 8. Ulcère ischémique pulpaire.  Figure 9. Ulcère traumatique en regard de déformations articulaires. Figure 10. Ulcère secondaire à une calcinose avec élimination d’un matériel crayeux. Figure 11. Surinfection d’un ulcère ischémique pulpaire. La taille des ulcérations est variable et ne peut être évaluée qu’après détersion mécanique. En effet, une hyperkératose réactionnelle masque souvent une partie ou la totalité de l’ulcération. Des cicatrices souvent kératosiques d’ulcères digitaux précédents peuvent être retrouvées sur les autres doigts et permettre un diagnostic rétrospectif. L’examen clinique doit également apprécier la fonctionnalité de la main et sa vascularisation, explorer la plaie avec recherche d’une calcinose sousjacente et d’un contact osseux ou articulaire de mauvais pronostic. Une acro-ostéolyse et des calcifications des tissus mous sont recherchées sur les radiographies de mains. Un bilan vasculaire minimal comprenant une capillaroscopie et une pléthysmographie digitale permet d’évaluer le pronostic de cicatrisation par la mesure de la densité de capillaires fonctionnels et le degré d’ischémie au niveau de la pulpe des doigts. Il existe trois stades d’anomalies capillaroscopiques dans la sclérodermie : les stades précoces avec quelques mégacapillaires, et hémorragies, sans zones avasculaires (figure 12), les stades actifs avec de nombreux mégacapillaires et hémorragies, une perte modérée de capillaires, un œdème, un nombre nul ou limité de capillaires ramifiés (figure 13) des stades tardifs (figure 14) avec peu ou pas de mégacapillaires ou d’hémorragies, une désorganisation de l’architecture, des zones larges de raréfaction capillaire et une néoangiogenèse (capillaires ramifiés). Une évolutivité du paysage capillaroscopique et un stade tardif sont des facteurs de risque d’ulcères digitaux(7). L’évolution sponta née des ulcères digitaux est émaillée de fréquentes complications qu’il faudra prévenir : infections nécessitant une antibiothérapie générale (36-47 %), gangrène avec ostéite (14-37 %), amputation chirurgicale (12-15 %). En cas de nécessité d’une amputation, une macroangiopathie sera systématiquement recherchée par échographie ou autre imagerie vasculaire non invasive.   Figure 12. Stade précoce de capillaroscopie avec quelques mégacapillaires  et hémorragies sans zones avasculaires. Figure 13. Stade actif de capillaroscopie avec de nombreux mégacapillaires et hémorragies, une perte modérée de capillaires, un œdème, un nombre nul ou limité de capillaires ramifiés. Figure 14. Stade tardif de capillaroscopie avec peu ou pas de mégacapillaires  ou d’hémorragies, une désorganisation de l’architecture, de larges zones de raréfaction capillaire et une néoangiogenèse (capillaires ramifiés). Le traitement des ulcérations digitales fait appel aux soins locaux et aux vasodilatateurs (prostacycline et ses dérivés surtout). Le bosentan, inhibiteur des récepteurs de l’endothéline, a un effet préventif démontré en double aveugle sur les ulcérations digitales(8), mais pas d’effet curatif. L’étude SEDUCE, comparant l’effet du sildénafil (Revatio®, 20 mg 3/jour) à celui du placebo sur la cicatrisation des ulcères digitaux de 83 sujets sclérodermiques, n’a pas montré de différence significative pour le délai de cicatrisation entre les deux groupes(9). Toutefois, les 28 malades recevant à la fois le bosentan et le sildénafil ont cicatrisé plus vite sans que la différence ne soit statistiquement significative, peut-être par manque de puissance dans ce sous-groupe. Les traitements locaux consistent en un nettoyage au sérum physiologique ou à l’eau courante avec du savon ; les antiseptiques et les antibiotiques topiques sont à proscrire ou à utiliser de façon ponctuelle et brève. Un traitement antalgique (xylocaïne, lidocaïne, MEOPA) est généralement requis pour permettre la détersion mécanique à la curette ou au bistouri. Le pansement varie en fonction de l’aspect de la plaie : Algostéril® en cas de suintement, Flammazine® si risque d’infection, pansement hydrocellulaire siliconé autofixant de type Mépilex border® en cas de plaie kératosique ou bourgeonnante. Les études in vitro, animales et humaines ont démontré un bénéfice notable des statines dans la pathophysiologie de la sclérodermie, probablement médiée par l’inhibition de la synthèse intermédiaire des lipides. L’amélioration clinique des complications circulatoires de la sclérodermie a été observée(10). Les statines sont généralement bien tolérées. De plus grands essais randomisés multicentriques à plus long terme sont nécessaires pour déterminer davantage leur rôle en tant que traitement adjuvant de cette maladie complexe et hétérogène. Des télangiectasies arrondies sont fréquentes sur la face palmaire (figure 15) ou dorsale des mains. Les autres localisations classiques sont le visage, la muqueuse buccale, le décolleté. Elles sont généralement moins nombreuses que celles observées au cours de la maladie de Rendu Osler, similaires à celles observées au cours du POEMS (figure 16) qui comporte également une élévation du VEGF. Lorsqu’elles sont gênantes esthétiquement, elles peuvent être traitées avec succès par laser. Figure 15. Télangiectasies arrondies palmaires au cours d’une sclérodermie systémique. Figure 16. Télangiectasies palmaires, similaires à celle d’une sclérodermie,  au cours d’un POEMS.   Calcinoses Des calcinoses ont été observées dans 22 % des cas d’une série de 7 056 sclérodermies systémiques, 17 % des cas de sclérodermie cutanée diffuse, 25 % des sclérodermies cutanées limitées, 28 % des sclérodermies limitées sans sclérose cutanée. Elles étaient localisées principalement (70 %) aux mains, mais aussi sur les coudes, les genoux, les bras, les jambes, le tronc et le visage(11). Elles forment des nodules durs à la palpation (figures 17 et 18), parfois douloureux en cas de poussées inflammatoires. En analyse multivariée, elles étaient statistiquement associées aux ulcérations digitales (OR 3,7 IC95 % 2,6-5,3 ; p < 0,0001) et à l’ostéoporose (OR 3,9 IC95 % 2,1-7,4 ; p < 0,0001). Elles occasionnent une gêne fonctionnelle et/ou esthétique et peuvent se compliquer d’ulcérations (figure 10) et d’infections. Elles sont diagnostiquées sur les radiographies des mains ; il existe un score radiographique des calcinoses (12) très reproductible, évaluant le pourcentage de surface recouvert par les calcinoses dans chacun des 21 segments de la main et la densité des calcifications (densité moyenne moins dense que l’os trabéculaire : 1, identique : 2, plus dense : 3). Ce score est utile dans tous les essais thérapeutiques. Le traitement médical des calcinoses a une efficacité médiocre ; la colchicine est prescrite en cas de poussée inflammatoire. Ont été utilisés avec des résultats très aléatoires les inhibiteurs calciques, la warfarine à dose faible (1 mg/j sans effet anticoagulant), les biphosphonates. Plus intéressants, car dénués d’effet secondaire, sont les traitements topiques par thiosulfate de sodium (10 à 25 % dans une pâte à l’oxyde de zinc) ou métabisulfite de sodium (25 %, 2 fois par jour) ; le métabisulfite de sodium est un composé inorganique se transformant en sulfate de sodium en présence d’oxygène qui a des propriétés similaires au thiosulfate de sodium inhibant l’agglomération d’oxalate de calcium. Ces traitements topiques ont été efficaces dans des cas isolés(13). L’exérèse chirurgicale de calcifications gênantes est le moyen le plus radical de traitement avec cependant un risque de récidive non négligeable. Le rapport anatomique des calcinoses avec les différentes structures de la main est alors préalablement apprécié avant l’intervention par un examen tomodensitométrique ou en résonance magnétique nucléaire. En conclusion, une prise en charge précoce multidisciplinaire des mains sclérodermiques avec une rééducation adaptée devrait éviter une perte fonctionnelle des mains, trop souvent encore observée aujourd’hui (figure 19). Le dermatologue a un rôle majeur dans cette prise en charge, intervenant à de nombreux niveaux. Figure 17. Calcinose digitale déformant le cinquième doigt  avec une lésion ischémique pulpaire du quatrième doigt. Figure 18. Nombreuses lésions de calcinose diminuant la fonctionnalité des mains. Figure 19. Fonctionnalité de la main très altérée du fait des rétractions digitales, des ulcérations, de l’acro-ostéolyse, de la perte des ongles.

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