Publié le 24 oct 2019Lecture 5 min
Alopécie frontale fibrosante : de plus en plus fréquente, encore mal connue
PHILIPPE BERBIS, CHU de Marseille
L’alopécie frontale fibrosante (AFF) a été décrite pour la première fois au début des années 1990. Au cours des dernières années, l’incidence de cette pathologie est en augmentation, sur l’ensemble du globe. Le terrain de prédilection est clairement la femme ménopausée ou en période de pré-ménopause. Cependant des cas, rares, ont été rapportés récemment chez des femmes plus jeunes ainsi que chez l’homme (cas très rares).
Il s’agit d’une alopécie cicatricielle caractérisée cliniquement par un recul progressif et symétrique de la ligne capillaire frontale (figure 1), associée souvent à une raréfaction progressive des sourcils(1). L’atteinte des sourcils est variable en fonction des individus et dans les formes les plus sévères peut entraîner une disparition complète. La zone de recul frontale s’étend progressivement, de manière plus ou moins rapide selon les cas, la zone bi-temporo-pariétale est ainsi plus ou moins rapidement intéressée (figure 2) et on assiste ensuite à une stagnation. Les zones pré- et rétro-auriculaire peuvent être touchées. La région occipitale est intéressée de manière beaucoup plus rare. Dans la plupart des cas, l’évolution cesse spontanément une fois la progression de l’alopécie ayant atteint la zone médiopariétale. Une atteinte de la face sous forme de papules folliculaires est observée dans environ un tiers des cas. Les régions axillaires, pubienne et faciale peuvent être intéressées, de manière beaucoup plus rare. L’examen clinique peut montrer une inflammation périfolliculaire sur les bords de la zone alopécique, traduisant une évolutivité (figure 2).
Diagnostic
Il n’y a pas d’hyperkératose folliculaire marquée comme on l’observe au cours du lupus érythémateux. Cette zone inflammatoire est parfois prurigineuse ou l’objet d’une sensation de brûlure superficielle. Sur les zones cicatricielles, le tégument devient progressivement de plus en plus pâle, contrastant avec les zones adjacentes. Les orifices pileux disparaissent et l’aspect est celui de plaques étendues blanchâtres, non infiltrées, pseudo-peladiques. L’aspect pâle et blanchâtre est d’autant plus marqué qu’il existe au niveau frontal des signes d’élastose et d’hyperpigmentation s’intégrant dans une héliodermie. L’absence de prurit peut être un facteur différentiel avec le lichen plan pilaire. L’analyse en dermoscopie peut s’avérer utile en montrant une disparition des orifices folliculaires et une discrète inflammation périfolliculaire avec une desquamation superficielle. L’examen microscopique montre un infiltrat lymphocytaire périfolliculaire, principalement autour de l’isthme et de l’infundibulum, associé à une diminution de la densité en follicules pilo-sébacés remplacés par de la fibrose. Des kératinocytes apoptotiques peuvent être observés au sein notamment des gaines épithéliales externes du follicule pilo-sébacé. L’infiltrat lymphocytaire est cependant moins dense et moins marqué au sein des lésions d’AFF que celui observé au sein du lichen plan pilaire. Dans les stades avancés, l’aspect de fibrose dermique diffuse ne permet pas de donner un aspect anatomopathologique particulier par rapport aux autres alopécies cicatricielles.
Galvez et al.(2) ont mis en avant des aspects en faveur d’un lichen plan pilaire, dont le diagnostic différentiel est parfois difficile : présence de follicules catagènes et télogènes, densité importante de l’infiltrat lymphocytaire, zone de fibroplasie concentrique lamellaire dermique. L’immunofluorescence directe donne des résultats variables, dans la plupart des cas négative ou positive de manière non spécifique. La pathogénie de l’AFF n’est pas encore clairement définie. Des cas familiaux récemment rapportés font évoquer une prédisposition génétique. Des facteurs environnementaux ont été mentionnés, tels que l’exposition solaire, sans arguments scientifiques cependant. Aucun cas d’AFF induite par un médicament n’a été rapporté. Des observations anecdotiques ont été rapportées après transplantation capillaire.
Etudes contrôle
Des facteurs hormonaux ont été mis en avant. Moreno-Arrones et al.(3) ont rapporté les résultats d’une étude ayant comparé 335 femmes présentant une AFF (vs 329 contrôles) ainsi que 20 hommes (vs 86 contrôles). Une association statistiquement significative a été notée, chez la femme, avec une exposition hormonale durant la vie (grossesses, hormonothérapie substitutive). À noter dans cette étude d’autres facteurs associés statistiquement significatifs dont la signification reste à établir : rosacée, lichen plan, hypothyroïdie, écrans solaires et crèmes anti-âge. Une étude ayant porté sur 104 patientes présentant une AFF(4), comparées à 208 sujets contrôles a conclu en analyse multivariée qu’une ménopause précoce ainsi que la prise de tamoxifène pouvaient être des facteurs favorisant la survenue d’une AAF. L’hypothèse la plus probable reste cependant un déterminisme auto-immun, de par la parenté avec le lichen plan pilaire et sur l’observation de cas associés à des anomalies ou des pathologies autoimmunes (50 % des patients dans la série italienne de Starace et al.(5)). Ont été ainsi rapportées des associations avec le lupus érythémateux, le syndrome de Gougerot-Sjögren(6), la polyarthrite rhumatoïde, le vitiligo, le lichen plan, l’hypothyroïdie, la cirrhose biliaire primitive(7). La cible antigénique éventuelle et le mécanisme auto-immun restent à découvrir. Le diagnostic différentiel se pose avec le lichen plan pilaire. Certains évoquent une parenté nosologique entre l’alopécie frontale fibrosante et le lichen plan pilaire. Le lupus érythémateux chronique est plus facile à diagnostiquer dans la mesure où il existe une hyperkératose péri folliculaire beaucoup plus nette et marquée et des signes cutanés associés caractéristiques. L’alopécie androgénogénétique et la pelade ne sont pas cicatricielles.
Traitement
Le traitement de l’alopécie frontale fibrosante est en général assez décevant et il n’existe pas de molécule de référence. L’analyse de la littérature ne permet pas de retrouver d’études contrôlées incluant un nombre important de patients. Les dermocorticoïdes sont toujours prescrits en première intention, notamment sur les zones inflammatoires périlésionnelles, traduisant le processus évolutif. S’ils sont relativement efficaces pour soulager la sensation de brûlure superficielle, il est rare qu’ils suffisent seuls à bloquer le processus évolutif, nécessitant dans la plupart des cas une réflexion sur un traitement systémique. L’association au minoxidil a été rapportée dans certains cas, sans efficacité spectaculaire. Le risque des dermocorticoïdes au long cours est bien sûr celui d’entraîner à terme une atrophie cutanée et d’accentuer l’aspect de dépigmentation. L’efficacité serait meilleure au niveau du traitement des sourcils. Par analogie au traitement du lichen plan pilaire, les antipaludéens de synthèse ont été proposés avec des résultats variables (amélioration significative dans la série de Samrao et al.(8)). Le tacrolimus topique s’est révélé inefficace selon quelques observations. La ciclosporine et le mycophénolate mofetil ont permis dans des cas anecdotiques une amélioration avec une récidive à l’arrêt du traitement. Ces deux molécules paraissent en outre difficiles à recommander au regard des effets secondaires potentiels lors de traitements au long cours. Quelques observations ont fait état d’une certaine efficacité du finastéride, associé ou non au minoxidil. Vano Galvan et al.(9), sur une série rétrospective non contrôlée de 111 patients, rapportent une amélioration dans 47 % des cas et une stabilisation dans 53 % des cas. Ici encore, le rationnel manque, de même que les études de haut niveau de preuve. Enfin, compte tenu de la nature cicatricielle de la pathologie et du caractère imprévisible de l’évolution, des greffes capillaires ne paraissent pas être une bonne indication.
Conclusion
Si l’alopécie frontale fibrosante est de diagnostic facile, sa signification pathologique et son traitement restent encore à découvrir.
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