Acné
Publié le 28 sep 2020Lecture 10 min
Acné : quand penser à un sapho ?
A. BOUCHAUD-CHABOT, Paris
Le terme « SAPHO » pour Synovite, Acné, Pustulose, Hyperostose, Ostéite a été proposé en 1987, à partir de 85 cas collectés par la Société française de rhumatologie, pour désigner une entité clinico-radiologique associant des signes cutanés, osseux et articulaires (tableau)(1). Auparavant, de nombreux cas cliniques isolés associant acné, pustulose et manifestations articulaires ou ostéite récurrente chronique multifocale (ORCM) avaient été rapportés dans la littérature sans diagnostic précis. L’individualisation du syndrome SAPHO a permis de regrouper ces diverses pathologies, et de le classer au sein des spondyloarthropathies.
La prévalence du SAPHO est de l’ordre de 1/10 000. Le diagnostic repose sur l’association de caractéristiques cliniques et d’imagerie évocatrices, l’atteinte osseuse étant la pierre angulaire du diagnostic : l’ostéite (surtout de la paroi thoracique antérieure, mais aussi vertébrale et des os périphériques) est l’atteinte majeure de ce syndrome. L’association à l’acné et la pustulose palmoplantaire et l’importance de l’hyperostose thoracique antérieure sont les autres caractéristiques(2,3,4) des syndromes SAPHO . Il semble exister une prépondérance féminine, surtout en cas de pustulose palmoplantaire, avec un âge de début préférentiel entre 30 et 40 ans. La physiopathologie n’est pas encore clairement établie, même si plusieurs travaux ont mis en évidence une forte association entre Cutibacterium acnes (autrefois dénommé Propionibacterium acnes) et syndrome SAPHO. Le traitement n’est pas standardisé.
Manifestations cliniques
Le diagnostic de SAPHO est évoqué devant certaines manifestations ostéoarticulaires et dermatologiques.
Atteintes ostéoarticulaires
• Paroi thoracique antérieure
L’atteinte de la paroi thoracique antérieure (PTA) est l’un des principaux signes évocateurs de SAPHO, trouvée en moyenne chez 75 % des patients. Les douleurs prédominent sur l’articulation sternoclaviculaire, avec souvent une tuméfaction des parties molles en regard de l’articulation (figure 1). L’atteinte manubriosternale et l’atteinte chondro-sternale sont également évocatrices mais moins fréquentes. Au cours de l’évolution de la maladie, les douleurs peuvent s’étendre à l’ensemble du plastron sternal. L’hypertrophie de la paroi sternale, mais aussi de la clavicule, peut parfois être trouvée en cas d’ostéite avec hyperostose.
Figure 1. Atteinte de la paroi thoracique antérieure (notez la tuméfaction sternoclaviculaire). Coll. Dr Gilles Hayem
• Atteinte axiale
Le rachis est atteint de façon variable, en moyenne chez un tiers des patients, plutôt en cours d’évolution. L’ensemble du rachis peut être atteint et les douleurs n’ont pas de caractéristiques particulières comparées à celles des autres spondyloarthrites. Une spondylodiscite érosive, une ostéite vertébrale, une atteinte de l’arc postérieur ou des syndesmophytes grossiers comme dans le rhumatisme psoriasique peuvent s’observer. L’ankylose peut aboutir à un enraidissement progressif.
Les sacro-iliaques sont touchées dans 13 à 40 % des cas et sont responsable de fessalgies. Tout le reste de la ceinture pelvienne peut être atteint, avec notamment les symphysites évoquées devant la présence de pubalgies.
• Atteintes périphériques
Des arthrites sont observées dans un tiers des cas. Il s’agit le plus souvent d’une oligoarthrite chronique des grosses ou moyennes articulations. À côté de ces formes chroniques, des formes aiguës pseudo-septiques avec liquide articulaire très inflammatoire ont été décrites. Classiquement, l’évolution n’est pas destructrice. L’atteinte osseuse périphérique se manifeste par des douleurs osseuses. Chez l’enfant, il s’agit de la manifestation la plus fréquente (> 90 %) alors que chez l’adulte elle n’est notée que chez moins de 25 % des patients. Lors des poussées, une tuméfaction inflammatoire peut être visualisée, à laquelle succède une déformation liée à l’hyperostose. L’atteinte mandibulaire touche jusqu’à 10 % des adultes. Les symptômes sont principalement des douleurs dentaires ou une déformation liée à l’hypertrophie osseuse. L’atteinte des enthèses périphériques semble moins fréquente que dans les autres spondyloarthrites.
Atteintes cutanées
L’atteinte cutanée (acné, psoriasis vulgaire ou pustulose palmo-plantaire) est une caractéristique essentielle du SAPHO, même si sa présence n’est pas obligatoire pour le diagnostic. Elle peut précéder de nombreuses années les signes rhumatologiques, ou au contraire survenir longtemps après leur début. Alors que l’acné vulgaire est assez rarement en cause, les formes sévères (acné fulminans, acné conglobata, hidrosadénite suppurée ou maladie de Verneuil) sont plus volontiers associées au syndrome SAPHO. La pustulose palmoplantaire (PPP) est la plus fréquente des dermatoses, trouvée en moyenne chez 60 % des patients (figure 2). D’autres dermatoses neutrophiliques comme le pyoderma gangrenosum ou syndrome de Sweet ont été rapportées au cours du SAPHO. Il n’y a pas de parallélisme entre les signes articulaires et cutanés. L’examen clinique et l’interrogatoire doivent donc être attentifs sur les paumes et les plantes à la recherche de pustules mais aussi dans les plis à la recherche de cicatrices. L’atteinte cutanée peut parfois être située en regard de l’atteinte osseuse.
Figure 2. Pustulose palmaire. Coll. Dr Gilles Hayem
Biologie
Les paramètres de l’inflammation peuvent être normaux ou augmentés en cas de poussée. Il n’y a pas de parallélisme entre les signes cliniques et l’inflammation systémique. En cas d’arthrite, le liquide articulaire est habituellement inflammatoire. La prévalence du HLAB27 varie entre 0 à 20 % des patients.
Des anticorps antinucléaires ont été retrouvés chez 12 à 30 % des patients dans deux séries pédiatriques d’ostéite récurrente chronique multifocale et chez 15 % des adultes dans une série française. Des anticorps antithyroïdiens sont présents chez 3 à 28 % des patients. Ces données pourraient suggérer une part de dysimmunité dans la pathogénie du SAPHO.
Imagerie
Les radiographies standard peuvent suffire, mais le plus souvent un scanner est réalisé. La lésion élémentaire est l’ostéite, visible sous forme de condensation, évocatrice de SAPHO lorsqu’une hyperostose est associée (41 % des cas). Un SAPHO est évoqué devant une réaction osseuse avec appositions périostées (aboutissant à l’hyperostose), une ostéite du manubrium sternal (inflammatoire en IRM, condensation en scanner), ou une atteinte manubriosternale ou claviculaire. La lésion élémentaire typique de la PTA au cours du SAPHO est l’érosion hyperostosante (figures 3 et 4).
Figure 3. Ostéite et hyperostose du plastron sternal. Coll. Dr Gilles Hayem
Figure 4. Ostéite, érosions et hyperostose sternale. Coll. Dr Gilles Hayem
L’ostéite condensante intéresse surtout la clavicule, le manubrium et la première côte. L’inflammation du ligament costo-claviculaire aboutit à une ossification exubérante et une ankylose. En cas d’atteinte globale de la PTA, la scintigraphie osseuse peut montrer un aspect d’hyperfixation en tête de taureau (figure 5).
Figure 5. Scintigraphie osseuse : hyperfixation sternoclaviculaire. Coll. Dr Gilles Hayem
Au rachis, différentes lésions élémentaires peuvent s’associer : spondylodiscite érosive, atteinte articulaire postérieure, spondylites condensantes parfois difficiles à différencier des autres causes de vertèbre ivoire (lymphome surtout) ; une biopsie osseuse est parfois nécessaire (figure 6). Les syndesmophytes peuvent être volumineux et l’ostéite peut se propager aux vertèbres adjacentes, donnant un aspect de bloc vertébral. Avant le stade de condensation, l’IRM peut montrer l’atteinte inflammatoire (figure 7). L’association de lésions d’âges différents est un élément important pour le diagnostic de SAPHO.
Figure 6. Ostéite vertébrale avec condensation osseuse. Coll. Dr Gilles Hayem
Figure 7. IRM lombaire : association spondylite de L5 et spondylodiscite inflammatoire T10 T11. Coll. Dr Gilles Hayem
Au bassin, les sacro-iliites sont présentes chez un tiers des patients. L’atteinte osseuse du pelvis est possible, ainsi que l’atteinte symphysaire avec érosion et ostéite pubienne de voisinage (figure 8).
Figure 8. Scanner du bassin : ostéite iliaque et sacrée, sacro-iliite. Coll. Dr Gilles Hayem
Tous les os peuvent être atteints, mais l’ostéite périphérique est plutôt l’apanage des formes pédiatriques. En cas d’atteinte articulaire et osseuse contiguës, la diffusion de l’ostéite à distance de l’interligne est un élément évocateur de SAPHO. Chez l’adulte, en cas d’atteinte isolée périphérique, l’aspect radiologique peut parfois être trompeur, avec un aspect pseudo-sarcomateux, et une biopsie est parfois nécessaire. La scintigraphie osseuse peut aussi être utile au bilan lésionnel des ostéites et permet de rechercher une atteinte multifocale ou paucisymptomatique. La mandibule est atteinte chez environ 10 % des patients (figure 9).
Figure 9. Scintigraphie osseuse. Atteinte mandibulaire et de la PTA. Coll. Dr Gilles Hayem
Globalement, on peut dire que les phénomènes d’arthrite érosive, d’ostéite chronique et d’hyperostose sont simples à identifier sur les radiographies standard, éventuellement complétées par la TDM. Pour les formes débutantes, ces mêmes examens sont souvent pris en défaut. C’est dans cette situation que l’IRM permet de visualiser précocement les localisations inflammatoires ostéo-articulaires ou enthésitiques, notamment au rachis. La scintigraphie est un excellent outil de dépistage et de cartographie lésionnelle.
La tomographie par émission de positons au fluorure de sodium pourrait permettre de mieux visualiser les différentes lésions en couplant des images scanographiques avec un traceur se fixant sur l’os.
DIiagnostic différentiel
Certaines infections torpides peuvent mimer une ostéite chronique du syndrome SAPHO, notamment en cas de localisation thoracique antérieure ou rachidienne.
Les formes lytiques ou avec périostose floride peuvent faire redouter un sarcome, voire un lymphome, notamment en cas de localisation sur les os longs, le bassin ou la mandibule. Les formes multifocales font surtout craindre des métastases osseuses condensantes. La plupart du temps, ces différents diagnostics sont éliminés par l’imagerie, avec une topographie évocatrice et la coexistence de manifestations cutanées. Cela étant, la prudence peut conduire à une biopsie.
Les dérivés de la vitamine A dans l’acné peuvent déclencher des complications rhumatismales, surtout sous la forme de rachialgies et d’enthésopathies multiples, mais aussi d’arthrites aiguës. Après une prise prolongée, les radiographies peuvent objectiver une hyperostose vertébrale diffuse à tendance ankylosante, souvent associée à une polyenthésopathie ossifiante. En principe les douleurs disparaissent de manière progressive après l’arrêt du médicament incriminé.
Physiopathogénie
La corynébactérie Cutibacterium acnes, impliquée dans l’acné, a été isolée par différentes équipes au sein de lésions articulaires ou osseuses, qu’il s’agisse de localisations à la PTA, au rachis ou sur le squelette distal. Cette recherche s’avère cependant assez souvent négative et les tentatives d’antibiothérapie se sont généralement avérées peu concluantes.
Un terrain génétique prédisposant est probablement nécessaire pour une majorité des cas de syndrome SAPHO et des formes familiales ont été signalées mais de manière plus rare que dans la spondylarthrite ankylosante. En comparaison avec les autres SpA, l’influence du groupe HLA B27 apparaît beaucoup moins déterminante.
La description sous le nom de syndrome DIRA d’une forme très précoce et lytique d’OCMR, s’accompagnant d’une pustulose généralisée, a conduit à identifier une mutation inactivatrice du gène codant pour le récepteur de l’interleukine-1 (IL-1), expliquant un processus auto-inflammatoire favorisé par des concentrations circulantes très élevées d’IL-1. L’anakinra a d’ailleurs été utilisée avec succès. Sur le plan cellulaire, un dysfonctionnement des polynucléaires neutrophiles serait susceptible d’expliquer une altération de la réponse immune contre certains pathogènes (comme par exemple C. acnes), avec le déclenchement secondaire d’un processus inflammatoire autonomisé, faisant alors parler d’ostéite « réactionnelle ». Le syndrome SAPHO se rapproche sans doute plus des maladies auto-inflammatoires que des pathologies auto-immunes(5).
Traitement
Il n’y a pas de consensus ni de recommandations quant à la prise en charge thérapeutique. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont le traitement proposé en première intention. En cas de mauvaise réponse aux AINS, les corticoïdes (20 à 30 mg/j) par voie orale peuvent être essayés en cure courte pour traiter les poussées. En cas d’arthrite périphérique localisée, des infiltrations de corticoïdes sont possibles. L’atteinte sternoclaviculaire est plus difficile à améliorer. En cas d’atteinte articulaire récidivante en échec des traitements précédemment cités, le méthotrexate ou la salazopyrine sont souvent proposés mais aucune étude randomisée n’a été réalisée.
En cas d’atteinte osseuse prédominante, les bisphosphonates intraveineux (pamidronate ou zolédronate) sont le plus souvent prescrits. L’efficacité est bonne chez la majorité des patients, avec un effet suspensif sur le long terme. Il n’y a pas de schéma thérapeutique particulier. Certains proposent un schéma proche de celui de la dysplasie fibreuse (pamidronate 60 mg trois jours de suite, puis à la demande), ou pamidronate 60 mg mensuel pendant trois mois, puis espacement progressif, ou une ou deux perfusions de pamidronate 60 mg (puis si besoin un mois après). Chez l’enfant, l’efficacité du pamidronate (30 mg trois jours de suite puis tous les trois mois) semble aussi réelle. Les bisphosphonates pourraient avoir un effet bénéfique sur la PPP.
Les biothérapies, notamment les anti-TNF , ont été proposées, le plus souvent en cas d’échec des traitements précédents. Même si leur efficacité n’est pas prouvée, ils semblent intéressants dans cette indication. L’amélioration cutanée est plus aléatoire, avec possibilité de psoriasis paradoxal. Le ciblage de la voie Il-23/Th17 (ustékinumab ou sécukinumab) a également été proposé dans une série de 5 patients en échec d’anti-TNF avec une atteinte de la paroi thoracique chez presque tous les patients. Si l’atteinte cutanée a été améliorée dans 50% des cas, il n’y a pas eu d’effet sur les manifestations rhumatologiques après 5,5 mois de traitement.
Du fait de certaines caractéristiques communes avec les maladies auto-inflammatoires, et du rôle de l’IL-1 dans la physiopathologie du SAPHO, l’anakinra a été testé chez peu de patients dans cette indication avec des résultats encourageants.
Enfin, dans les cas où un germe type C. acnes est retrouvé, une antibiothérapie prolongée est parfois proposée avec des résultats aléatoires. Différents protocoles thérapeutiques ont été utilisés : tétracyclines (doxycycline), macrolides, rifampicine ou amoxicilline, en association ou en monothérapie.
Conclusion
Le diagnostic de SAPHO est à évoquer devant l’association d’une atteinte osseuse (ou articulaire) et cutanée, le SAPHO représentant le versant osseux et pustuleux des spondyloarthrites. L’imagerie caractéristique est dominée par l’ostéite hyperostosante. L’évolution est bonne sur le long terme. Le traitement n’est pas codifié : les AINS et les corticoïdes ont un effet symptomatique, le méthotrexate ou la salazopyrine sont proposés en cas d’atteinte articulaire chronique. Les formes résistantes sont traitées par bisphosphonates intraveineux ou agents biologiques, voire antibiothérapie prolongée.
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