Publié le 07 nov 2021Lecture 6 min
Les engelures
Mouna KOURDA, Hôpital Razi de La Manouba, Tunis (Tunisie)
Les engelures ou pernio ou chilblain sont des acrosyndromes vasculaires permanents (non paroxystiques) favorisés par le froid et l’humidité. Elles sont par définition idiopathiques ; il faut les distinguer des pseudo-engelures associées à certaines maladies. Leur prévalence n’est pas connue ; néanmoins, les engelures prédominent dans les pays froids et humides. Les engelures connaissent un regain d’intérêt depuis la description des pseudo-engelures au cours de la pandémie due au coronavirus.
Diagnostic positif
Étude clinique
Dans les formes typiques, le diagnostic est clinique et aucune exploration n’est demandée.
• Facteurs favorisants
Les engelures touchent typiquement des femmes jeunes, d’âge inférieur à 40 ans, qui sont maigres et tabagiques. Ces femmes présentent une hypersensibilité au froid et potentiellement d’autres acrosyndromes vasculaires (syndrome de Raynaud, acrocyanose).
Les engelures apparaissent à la saison froide (8-10 °C) et humide ; ainsi c’est généralement durant les mois de novembre à mars qu’elles apparaissent. Elles ont une évolution saisonnière, disparaissant spontanément en été et réapparaissant à la saison froide.
Les principaux facteurs favorisants sont le temps froid, un logement non chauffé, la prise de médicaments vasoconstricteurs (bêtabloquant per os), ainsi que le travail en milieu froid et humide (boucherie, poissonnerie, surgelés). On incrimine aussi les microtraumatismes subis aux pieds par des chaussures étroites mal adaptées, à talons hauts, ce qui explique la prédominance des engelures chez les femmes et la fréquence de l’atteinte des pieds. La pratique du sport ou de la bicyclette en temps froid est également incriminée dans l’apparition des engelures.
Les principaux facteurs favorisant l’apparition des engelures sont résumés dans le tableau 1.
• Physiopathologie
Elle est peu connue ; néanmoins, on incrimine un vasospasme persistant et prolongé chez des sujets présentant une hypersensibilité au froid humide. On pense que l’humidité augmente la conductivité du froid. Plusieurs études ont décrit le processus comme une vasculopathie. On suppose que les individus sensibles peuvent être à risque de développer des lésions secondaires à une perturbation des réponses neurovasculaires normales, aux changements de la température cutanée. La vasoconstriction persistante engendrée par le froid conduit à une hypoxémie et secondairement à une réaction inflammatoire. Le réflexe vasodilatateur induit secondairement à la vasoconstriction engendrée par le froid a été décrit comme un mécanisme physiologique protecteur qui augmente le flux sanguin pour permettre la reperfusion et pour prévenir l’ischémie cutanée. Ce réflexe vasodilatateur n’a pas lieu, car la vasoconstriction est prolongée chez ces patients. Par analogie, des études ont montré des niveaux élevés d’agents vasoconstricteurs tels que l’endothéline-1 chez les sujets présentant un phénomène de Raynaud idiopathique ou une acrocyanose essentielle.
• Aspects cliniques
Typiquement, les engelures réalisent des macules érythémato-cyanotiques ou violines, œdémateuses pouvant confluer en plaque (figures 1, 2, 3). Les lésions sont souvent multiples. Elles touchent le dos des pieds et des mains. Certains auteurs rapportent une prédominance des lésions aux pieds, incriminant le port de souliers serrés à talons chez les femmes.
Plus rarement, les lésions s’étendent à la région achilléenne, aux bords latéraux des pieds, au nez et aux oreilles. Les engelures ont une disposition symétrique et bilatérale.
Elles apparaissent 24 heures après l’exposition au froid pour durer quelques semaines.
Les signes fonctionnels sont à type de douleur, de brûlure ou de prurit. Le prurit lors du réchauffement des extrémités est très caractéristique.
Des aspects plus atypiques peuvent se voir à type d’érythème polymorphe avec des lésions en cocarde et des extrémités froides (figure 4). D’autres aspects à type de lésions ponctuées et kératosiques ont été décrits.
Des complications peuvent être observées à type d’ulcérations, de nécrose, de phlyctènes hémorragiques, de fissures (figures 5, 6, 7).
Des surinfections à point de départ cutané peuvent survenir avec impétiginisation (figure 8).
• Examens biologiques
Des examens paracliniques sont demandés uniquement dans les formes atypiques. Ils comprennent a minima : une NFS, un bilan inflammatoire, la recherche d’anticorps antinucléaires ainsi que la recherche de cryoglobulines.
• Examen anatomopathologique
La biopsie cutanée d’une lésion n’est pas systématique, car le diagnostic d’engelure est clinique ; elle n’est pas anodine sur les extrémités (douleur et cicatrice). De plus, l’aspect anatomopathologique n’est pas spécifique.
Il montre une spongiose avec des nécroses kératinocytaires dans la moitié des cas. Dans le derme, on trouve un œdème avec un infiltrat riche en lymphocytes dermiques superficiel et profond à renforcement périvasculaire et surtout péri-eccrine. La localisation péri-eccrine de l’infiltrat est très caractéristique, absente en cas de pseudo-engelures du lupus érythémateux.
Le diagnostic d’engelures est porté selon les critères diagnostiques, en la présence du critère majeur et d’au moins un des 3 critères mineurs (tableau 2).
Évolution et pronostic
Les engelures apparaissent 24 heures après exposition au froid, durent 1 à 3 semaines pour disparaître spontanément.
L’évolution peut être plus prolongée, les récidives fréquentes en hiver. L’évolution est bénigne ; elles disparaissent sans laisser de cicatrices, pouvant au plus laisser des pigmentations séquellaires.
Toutes les engelures de durée prolongée, survenant ou persistant en dehors de la saison froide, en l’absence d’antécédents personnels ou familiaux d’engelure, apparaissant tardivement dans la vie doivent remettre en cause le diagnostic.
Diagnostics différentiels
Les engelures sont à différencier des pseudo-engelures qui ont le même aspect clinique, mais qui sont secondaires à des pathologies sous adjacentes. Le diagnostic des engelures peut se poser avec de nombreuses pathologies (tableau 3).
Néanmoins, deux principaux diagnostics différentiels se posent avec les engelures : les pseudo-engelures au cours de la Covid-19 et le lupus engelures.
Pseudo-engelures au cours de la Covid-19
Au cours de la pandémie de Covid-19, un nombre inhabituellement élevé de cas de pseudo-engelures a été rapporté. Leur aspect clinique ne diffère pas de celui des engelures idiopathiques (figures 9, 10, 11). De physiopathologie peu connue néanmoins, les pseudo-engelures au cours de la pandémie à coronavirus seraient la conséquence d’une tempête cytokinique entraînant une réaction immune exagérée de type interféronopathie réactionnelle de type 1. Plus récemment, des études au microscope électronique ont mis en évidence le virus dans les prélèvements cutanés.
Ces pseudo-engelures apparaissent surtout chez des sujets jeunes, à la phase tardive de l’infection à la Covid-19 avec des PCR le plus souvent négatives. L’infection est peu sévère ou asymptomatique, déjà guérie d’où la négativité des PCR. Le traitement est symptomatique (dermocorticoïdes et émollients).
Lupus engelures
Les pseudo-engelures font partie des manifestations dermatologiques du lupus érythémateux cutané chronique, pouvant être associé à un lupus discoïde, plus rarement à un lupus systémique. Elles peuvent être inaugurales et ainsi précéder les autres manifestations lupiques.
Pour certains, l'aspect clinique des pseudo-engelures lupiques serait plus livédoïde que dans les engelures idiopathiques et évoluerait fréquemment vers la nécrose.
L’histologie et l’immunofluorescence directe sont une aide au diagnostic.
Elles n’ont pas de caractère saisonnier, apparaissant en hiver et persistant en été, améliorées par les traitements classiques des lupus érythémateux cutanés.
Traitements
Les engelures régressent spontanément en saison chaude sans laisser de cicatrices.
Traitements curatifs
Les dermocorticoïdes sont préconisés alors que pour certains auteurs, ils sont contre-indiqués, car ils favorisent la vasoconstriction.
Les topiques à la trinitrine sont indiqués, mais leur efficacité n’a pas été prouvée par des essais thérapeutiques.
Les traitements généraux sont indiqués dans les formes sévères et qui ne sont pas améliorées par les traitements locaux. Les inhibiteurs calciques ont fait l’objet d’essais contrôlés avec la nifédipine (adalate) à la dose de 20 à 60 mg/jour. Ce traitement doit être poursuivi durant la période froide. Il réduit la douleur et l’inflammation. Son efficacité est limitée par les effets secondaires (céphalées et œdèmes). Ces effets secondaires sont moindres avec un autre inhibiteur calcique diltiazem (tildiem).
Traitement préventif
Il est très important et consiste à se protéger du froid par le port de vêtements chauds et surtout par des gants isolants et des chaussettes dès les premiers froids associés aux émollients. L’arrêt du tabac est important.
Conclusion
Les engelures sont idiopathiques, et le diagnostic est clinique reposant sur l’interrogatoire et l’examen clinique. Les explorations n’ont pas d’indications dans les formes typiques. Le traitement est surtout préventif.
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