Publié le 10 fév 2022Lecture 6 min
Les lymphomes T cutanés : ce à quoi il faut penser
Denise CARO, Boulogne-Billancourt
Les paroles des patients sont très instructives ; elles permettent d’aiguiller le médecin vers le diagnostic de lymphome T cutané et d’optimiser la prise en charge qui doit prendre en compte l’impact sur la qualité de vie. Dans ce contexte, l’arrivée de nouveaux médicaments fait évoluer les stratégies thérapeutiques.
Le délai avant que le diagnostic de lymphome T cutané (LTC) soit porté est souvent long. Les premiers symptômes de la maladie ne retiennent pas forcément l’attention et peuvent être confondus avec d’autres dermatoses plus communes, comme l’eczéma. Certains signes doivent faire évoquer un LTC : une localisation des lésions à la racine des membres ou au niveau des flancs, des lésions figurées ou arciformes qui disparaissent et réapparaissent au fil des mois, de fortes démangeaisons et surtout une résistance aux traitements habituels.
Au moindre doute, une biopsie doit être réalisée. La présence de lymphocytes atypiques épidermotropes avec des lymphocytes T et des lymphocytes CD4 confirme le diagnostic.
Parfois, l’histologie est moins parlante, avec très peu d’infiltrats et une spongiose qui masque les lymphocytes aty- piques. De plus, certains mycosis fongoïdes débutants n’ont pas de clonalité détectable. Il faut multiplier les zones biopsiées, renouveler les prélèvements dans le temps et ne pas hésiter à demander un deuxième avis ou à se rapprocher d’un centre expert. L’annonce du diagnostic doit être accompagnée d’informations précises sur la maladie. Le mot de « cancer » doit être prononcé, puisque le patient le retrouvera sur Internet. Mais il convient aussi d’être rassurant quant à l’évolution lente du LTC. L’espérance de vie des patients atteints de mycosis fongoïde de stade précoce (I-A ou II-A) est la même que celle de la population générale(1).
Le bilan d’extension varie en fonction de la présentation cutanée. Une évaluation clinique (atteinte cutanée, recherche d’adénopathies) et une biopsie sont suffisantes à un stade précoce. S’il y a des plaques diffuses et infiltrées, des tumeurs ou une érythrodermie, des examens complémentaires sont utiles. Le bilan com- porte un examen biologique (NFS, plaquettes, lactate déshydrogénase), un scanner, une cytométrie de flux (CD4, CD8, CD7, CD26, CD158), une clonalité sanguine et une biopsie ganglionnaire s’il existe une adénopathie palpable de plus de 1,5 cm. Il n’y a pas lieu de faire une biopsie ostéomédullaire.
Un suivi axé sur la qualité de vie
Le suivi doit être coordonné entre les différents médecins appelés à voir le patient. La surveillance est principalement clinique ; toutefois, il ne faut pas hésiter à refaire une biopsie en cas de modifications des lésions et à reconsidérer le traitement en cas de résistance. La prise en compte de la qualité de vie est essentielle. Le mycosis fongoïde est une dermatose chronique, affichante, responsable de prurit et/ou de douleurs, et pouvant évoluer vers une forme plus grave, autant de caractéristiques susceptibles de retentir sur la qualité de vie. Il existe différents scores d’évaluation de la qualité de vie : skindex-29 30, SF 36, EORTC QLQ- C30 et EVA prurit. La dimension émotionnelle doit être explorée. L’immense majorité des personnes atteintes de mycosis fongoïde exprime de l’anxiété par rapport à la gravité de leur maladie (94 %) et a peur de mourir (80 %), cela alors que la plupart des patients ont une forme débutante(2). Les questions simples comme « comment ça va à la maison ? » ou « comment sont vos nuits ? » renseignent sur le vécu émotionnel.
Le caractère affichant du LTC (squames et érythrodermie) altère l’image que les patients ont d’eux-mêmes (62 %), perturbe leur vie sexuelle (50 %) et leur pose des difficultés pour se vêtir (66 %). De même, le prurit, les brûlures, les douleurs, les fissures, l’érythrodermie impactent négativement la qualité de vie des malades. Enfin, le retentissement fonctionnel peut être important avec un sommeil perturbé (66 %), un impact du mycosis fongoïde sur les activités quotidiennes (50 %) et sur les interactions sociales (50 %)(2).
Toutefois, si la qualité de vie est clairement altérée dès les stades précoces de la maladie, elle l’est bien davantage aux stades avancés et dans le syndrome de Sézary, du fait de l’intensité des symptômes (prurit, érythrodermie), des rémissions plus rares et du pronostic plus sombre(3).
Les stratégies thérapeutiques évoluent
Plusieurs séries de recommandations de prise en charge des LTC ont été publiées au fil des années : celles du GFELC en 2010(4), de l’EORTC en 2017(5) et de l’ESMO en 2018(6).
Aux stades précoces, le traitement est local. Il repose sur les dermocorticoïdes, le gel de chlorméthine, la photothérapie (PUVA, UVB), l’électrothérapie ou la radiothérapie. Les stades avancés qui échappent à ces traitements locaux relèvent d’un traitement systémique ; celui-ci est proposé d’emblée en présence de tumeurs ou d’une érythrodermie importante.
Parmi les traitements systémiques, les approches classiques reposent sur le bexarotène, l’interféron pégylé, le méthotrexate à faibles doses, la photophérèse, la photophérèse associée à l’interféron et une chimiothérapie avec la doxorubicine liposomée ou la gemcitabine. Depuis quelques années, d’autres molécules sont venues enrichir l’arsenal thérapeutique des LTC de stade avancé. La romidepsine est un inhibiteur d’histone désacétylase, disponible en ATU. Également en ATU, mais difficile à obtenir pour les patients LTC, l’alemtuzumab est un anticorps qui détruit les lymphocytes T et B.
Deux nouvelles biothérapies ont fait leur entrée dans l’arsenal thérapeutique des formes avancées de LTC : le brentuximab védotine et le mogamulizumab.
Le brentuximab védotine est un anticorps chimérique anti-CD30 couplé à un agent cytotoxique, la monométhylauristatine. Il est indiqué dans le LTC après échec d’au moins un autre traitement systémique(7). Dans le cas clinique rapporté par Martine Bagot, le brentuximab védotine a permis une rémission complète chez un patient jeune atteint d’un syndrome de Sézary agressif d’évolution rapide. Une greffe de moelle a alors pu être proposée à ce patient. Rappelons que la greffe autologue de moelle est le seul traitement curatif du LTC. Elle est réservée aux patients âgés de moins de 70 ans, sans comorbidités importantes et en rémission complète du LTC.
Le mogamulizumab est un anticorps dirigé contre la molécule CCR4. Il est indiqué dans le mycosis fongoïde stades III-IV non transformé (y compris le syndrome de Sézary) chez l’adulte après échec d’au moins un traitement systémique antérieur et dans le traitement des patients adultes présentant un mycosis fongoïde (MF) ou un syndrome de Sézary (SS) qui ont reçu au moins un traitement systémique antérieur, et il est agréé aux collectivités et inscrit sur la liste de rétrocession. Le suivi des patients sous mogamulizumab peut revêtir certains pièges. À titre d’illustration, Martine Bagot a rapporté le cas d’une femme de 63 ans atteinte d’un syndrome de Sézary, ayant échappé à deux traitements antérieurs, et en rémission complète sous mogamulizumab. Dix mois après le début de la biothérapie sont apparus des nodules péri-auriculaires avec un infiltrat granulomateux, sans aucun signe de reprise du syndrome de Sézary. Le diagnostic de toxidermie granulomateuse induite par le mogamulizumab a été fait (à la biopsie) ; les perfusions d’anticorps ont été espacées, puis arrêtées. Les lésions péri-auriculaires ont persisté au-delà de l’interruption de la biothérapie et ont cédé sous méthotrexate. Plusieurs mois après l’arrêt du mogamulizumab la patiente était toujours en rémission. « Cette histoire clinique montre que l’apparition de nouveaux symptômes cutanés n’est pas forcément le signe d’une rechute du LTC ; il semble même que ces rashs soient associés à une meilleure réponse thérapeutique », explique Martine Bagot.
Actuellement, le mogamulizumab n’est pas pris en charge. Prochainement, après les premières perfusions faites à l’hôpital (non prises en charge), les suivantes pourront être faites en ville et être remboursées.
« Par ailleurs, nous attendons la parution d’un décret autorisant les médicaments avec une ASMR IV à demander leur inscription sur “la liste en sus” qui permettra une prise en charge du médicament à l’hôpital », a indiqué Martine Bagot avant de conclure : « Nous entrons dans une nouvelle ère de traitement des LTC, les algorithmes commencent à changer et changeront encore. Nous sommes au tout début de l’histoire. »
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