Publié le 20 fév 2007Lecture 8 min
L’angiomatose bacillaire
B. DOUDIER(a), P. BROUQUI (a,b) a : Service des Maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Nord, Marseille b : Unités des Rickettsies, CNRS 6020, Faculté de Médecine de Marseille
L’angiomatose bacillaire est une affection vasculoproliférative pseudotumorale touchant préférentiellement les sujets immunodéprimés. L’atteinte cutanée est la plus fréquente, mais des localisations viscérales existent également. Deux agents pathogènes ont été identifiés à l’origine de cette pathologie : Bartonella quintana, agent de la fièvre des tranchées, d’endocardite à hémocultures négatives et de lymphadénopathie chronique et surtout Bartonella henselae, responsable de la maladie des griffes du chat.
Épidémiologie L’épidémiologie varie suivant le mode de contamination et la bactérie responsable. Un contact antérieur avec un chat est rapporté dans les cas d’angiomatose bacillaire due à B. henselae(1,2). Par contre, l’angiomatose bacillaire diagnostiquée chez les sans-domicile-fixe immunodéprimés par le VIH est le plus souvent due à B. quintana en raison du contact avec les poux de corps, vecteurs de la bactérie(1-3). Quelques observations ont été faites chez des sujets immunocompétents(4), mais l’angiomatose bacillaire reste l’apanage des immunodéprimés, qu’ils soient séropositifs au stade SIDA avec moins de 200 CD4+/mm3(5), greffés et traités par immunosuppresseurs(6) ou porteur d’une affection maligne(7). L’angiomatose bacillaire atteint préférentiellement les sujets immunodéprimés. Microbiologie Bartonella quintana et Bartonnela henselae sont des bactéries Gram négatif difficiles à cultiver, pathogènes pour l’homme, qui appartiennent au sous-groupe alpha des Proteobacteries(8). Le séquençage du gène de l’ARN 16S a permis de mettre en évidence des homologies entre les espèces de Bartonella et des bactéries du genre Rickettsies(8). Les génomes de B. quintana et de B. henselae ont été séquencés récemment (respectivement 1,6 Mb et 1,9 Mb). Ce sont des bactéries intracellulaires dont le tropisme est dirigé vers les érythrocytes, les cellules endothéliales et épithéliales humaines. Physiopathologie Bartonella henselae aurait un rôle dans la phagocytose par les polynucléaires neutrophiles et l’activation du complément(8). Par ailleurs, les différentes espèces de Bartonella interagissent avec leur hôte en modulant la prolifération des cellules endothéliales vasculaires. Cette néovascularisation débute au cours de l’infection par B. henselae et B. quintana et concerne les cellules endothéliales composant les petits capillaires. Les lésions d’angiomatose bacillaire humaine sont la conséquence de cette angiogenèse localisée induite par les Bartonella(8). B. quintana et B. henselae induisent la prolifération des cellules endothéliales vasculaires tout d’abord au niveau cutané, puis dermique et sous-cutané. Elle peut s’étendre ensuite aux autres organes, favorisée par l’immunodépression de l’hôte. La péliose hépatique, due à B. henselae, peut s’associer à l’angiomatose bacillaire : elle résulte de la formation de lacs vasculaires au niveau hépatique. Le même processus peut survenir au niveau ganglionnaire(6) et splénique(9). B. henselae et B. quintana ont des propriétés proangiogéniques. Manifestations cliniques Manifestations cutanées La forme papuleuse est caractérisée par des lésions granuleuses pourpres surélevées friables de 1 mm à plusieurs centimètres de diamètre (figure 1). Figure 1. Angiomatose bacillaire à type de papule pourpre du tronc chez un sujet au stade SIDA. La lésion peut être unique, mais elles sont le plus souvent multiples, localisées ou diffuses. Des formes nodulaires sous-cutanées peuvent coexister avec les précédentes(10). Elles sont mobiles ou fixes par rapport aux structures adjacentes. D’autres lésions hyperpigmentées au centre kératosique sont souvent décrites chez les patients afro-américains(10). Enfin, des formes plus rares existent à type de folliculites ou d’ulcérations cutanées. Une atteinte muqueuse est possible. Ce sont des macules ou des papules rouges-violacées localisées au niveau oral(10), génito-anal(11,12), et digestif(13). L’atteinte cutanée est la plus fréquente, à type de papules pourpres friables uniques ou multiples, ou de nodules cutanés ou sous-cutanés. Il existe des atteintes muqueuses. Manifestations extracutanées Les patients atteints d’angiomatose bacillaire peuvent présenter une fièvre, des frissons, un malaise général, des vomissements. Ces signes accompagnent les formes systémiques de la maladie. L’angiomatose bacillaire peut théoriquement atteindre tous les organes. • L’atteinte osseuse existe dans 35 % des cas(14). On la recherche devant une douleur des os longs, mais des lésions costales ou vertébrales ont été décrites. Les radiographies des os atteints révèlent des images lytiques ou de périostite. Une atteinte médullaire peut être associée(15). • La péliose bacillaire est la forme hépato-splénique de la maladie. Des espaces kystiques faits de lacis veineux caverneux se développent au sein du foie et de la rate, et sont détectables par un examen scannographique sous la forme de zones hypodenses intraparenchymateuses(16). Des nausées, des vomissements, une cytolyse et une cholestase hépatiques sont fréquents. Une coagulopathie peut survenir. • L’angiomatose bacillaire du tractus gastro-intestinal se présente sous forme de nodules ulcérés de la muqueuse gastrique ou intestinale(13). • L’atteinte de l’appareil respiratoire comprend une obstruction laryngée, des lésions endobronchiques polypoïdes, des épanchements pleuraux ou une masse parenchymateuse(17). • Atteintes neurologiques. Des déficits focalisés, des céphalées, une névralgie du trijumeau peuvent révéler une atteinte du système nerveux central. • Enfin, des polyadénopathies, une endocardite, une thrombose veineuse, une obstruction biliaire, des bactériémies, une atteinte ophtalmologique ont été décrites(10,18). Il faut toujours rechercher une atteinte osseuse, hépatosplénique, voire pulmonaire, gastrique ou neurologique. Diagnostic différentiel Les lésions sont facilement confondues avec : - un sarcome de Kaposi, - un hémangiome épithélioïde, - un angiokératome, - un granulome pyogénique(12). D’autres lésions sous-cutanées peuvent être évoquées : verruga peruana (due à Bartonella bacilliformis), une mycobactériose atypique disséminée(10). Diagnostic histologique L’examen anatomopathologique d’une lésion cutanée révèle des lésions du derme superficiel et profond, dans lesquels existe une prolifération des capillaires en lobules, alignés avec des cellules endothéliales épithélioïdes qui font profusion dans la lumière vasculaire. Le derme est le siège d’un infiltrat inflammatoire à polynucléaires neutrophiles (figures 2 et 3)(10). Figure 2. Coupe histologique d’une lésion cutanée d’angiomatose bacillaire après coloration à l’hématoxyline éosine montrant la prolifération des éléments vasculaires(Gx400). Figure 3. Immunomarquage par anti-facteur VIII d’une lésion cutanée d’angiomatose bacillaire montrant un marquage des cellules endothéliales (Gx400). Diagnostic microbiologique Les bactéries peuvent être visualisées sur le tissu cutané près des vaisseaux grâce à la coloration argentique de Whartin-Starry ou par les techniques d’immunohistochimie(1,8,10). Elles peuvent être détectées dans les hémocultures ou les prélèvements biopsiques (ganglions, peau…) grâce aux méthodes de biologie moléculaire. Ces techniques rapides et spécifiques permettent de pallier la culture fastidieuse et longue de 2 à 6 semaines. On peut détecter le gène de la citrate synthase de Bartonella henselae par PCR(1). Le diagnostic repose sur l’histologie standard qui montre une prolifération des capillaires des tissus cutanés et sous-cutanés, sur les techniques d’immuno-marquage, mais aussi sur la PCR réalisée sur les biopsies ou les hémocultures. Traitement Le traitement de choix est l’érythromycine per os (500 mg 4 fois/j) pendant 3 mois. Dans les cas sévères, la voie intraveineuse doit être préférée. En cas d’intolérance ou de contre-indication à l’érythromycine, on utilisera la doxycycline (100 mg 3 fois/j). Une bi-antibiothérapie est indiquée dans les infections sévères des patients très immunodéprimés en associant la rifampicine (300 mg 2 fois/j) à l’érythromycine ou la doxycyline. L’administration intraveineuse est indispensable dans le cadre des atteintes gastro-intestinales ou les risques de malabsorption. La bi-antibiothérapie doxycline et rifampicine est indiquée dans les atteintes du système nerveux central en raison de la meilleure biodisponibilité intracérébrale de la doxycycline(19). La réponse au traitement par macrolides peut être extrêmement rapide chez les sujets très immunodéprimés notamment sur les lésions cutanées. En effet, les macrolides entraînent une inhibition spécifique de la prolifération des cellules endothéliales endovasculaires(20). Les lésions de péliose hépatique régressent en quelques mois. Les rechutes au niveau osseux et cutané sont fréquemment rapportées(19). Elles surviennent si le traitement a duré moins de 3 mois, notamment chez les patients au stade SIDA très immunodéprimés. En cas de rechute après un traitement bien conduit, les patients très immunodéprimés doivent recevoir un traitement prophylactique par érythromycine (500 mg 4 fois/j) ou doxycycline (100 mg 2 fois/j) jusqu’à restauration de l’immunité(19). Le traitement repose sur les macrolides. On utilisera la doxycycline en cas de contre-indication. Une association est nécessaire avec la rifampicine pour les grands immunodéprimés. La durée du traitement doit être de 3 mois. En pratique, on retiendra L’angiomatose bacillaire est préférentiellement due à Bartonella henselae et reste l’apanage des immunodéprimés. Les lésions cutanées à type de papules pourpres friables sont les plus fréquentes, mais on ne doit pas omettre de rechercher des localisations muqueuses, osseuses ou hépatospléniques. Le diagnostic est à la fois clinique, histologique et microbiologique. Enfin, il existe un traitement efficace par macrolides, auquel il est parfois nécessaire d’associer la rifampicine en cas de grande immunodépression.
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