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Thérapeutique

Publié le 10 fév 2010Lecture 12 min

La place des antipaludéens de synthèse en dermatologie

Y. AFIFI*, A. ELLOUADGHIRI*, C. TRY**, P. HUMBERT**, B. HASSAM* *Service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc **Service de dermatologie, CHU Saint-Jacques, Besançon
Les antipaludéens de synthèse sont des médicaments largement prescrits dans le traitement de maladies inflammatoires chroniques. En dermatologie, ils trouvent leurs indications dans de nombreuses pathologies, souvent en première intention, bénéficiant d’un coût relativement faible et d’une meilleure tolérance en comparaison avec d’autres thérapeutiques plus agressives telle la corticothérapie générale. Néanmoins, leur utilisation au long cours expose au risque de cécité par atteinte rétinienne centrale irréversible. Une bonne connaissance de leurs propriétés et de leurs règles d’utilisation permet d’éviter ces complications.
Les antipaludéens de synthèse (APS) de référence en dermatologie, l’hydroxychloroquine et la chloroquine, sont des dérivés synthétiques du noyau quinoléine de la quinine : ils ont été mis sur le marché initialement à la fin des années 40 pour le traitement et la prévention du paludisme. Depuis, la découverte d’autres propriétés insoupçonnées initialement a permis d’élargir leur utilisation à d’autres pathologies, notamment dermatologiques. Propriétés pharmacodynamiques Le mode d’action des APS, en dehors de l’action antipaludéenne, reste imparfaitement connu. Les APS agissent à plusieurs niveaux : • activité anti-inflammatoire : une inhibition de la synthèse et une sécrétion des principales cytokines pro-inflammatoires, une action sur des médiateurs inflammatoires non cytokiniques et une interférence avec certaines réactions enzymatiques, s’opposant ainsi aux mécanismes effecteurs de l’inflammation (1-3) ; • activité immunomodulatrice : l’accumulation intracellulaire des molécules APS dans les compartiments lysosomiaux aurait pour conséquence une modification du pH cellulaire et une altération du chimiotactisme et de la fonction phagocytaire des polynucléaires (2,4) ; • activité photo-protectrice : l’affinité des APS pour les mélanocytes et leur accumulation au sein de ces cellules est une certitude ; en revanche, les mécanismes par lesquels ces molécules protègent des ultraviolets ne sont pas maîtrisés (réduction de l’apoptose UV-induite, activation de gènes de réparation cellulaire…) (5,6). • activité antithrombotique : altération des propriétés d’adhésion et des mécanismes d’agrégation plaquettaire (7) ; • autres : d’autres effets sont à mettre au crédit des APS, certains sont bien documentés, d’autres purement anecdotiques (activité hypocholestérolémiante, antioxydante, antiproliférative, etc.) (8). Étude pharmacocinétique L’hydroxychloroquine et la chloroquine sont dotées de propriétés similaires à quelques différences près. • Absorption : leur caractère hydrosoluble leur confère une absorption digestive excellente, qui peut être potentialisée par la prise per-prandiale et altérée par un état de malnutrition (9). • Distribution : le transport plasmatique se fait grâce aux protéines plasmatiques permettant une large distribution de ces molécules dans l’organisme. L’hydroxychloroquine comme la chloroquine possèdent une affinité particulière pour les mélanocytes, ce qui explique en partie leurs effets indésirables notamment oculaires. Les deux molécules traversent la barrière placentaire et passent faiblement dans le lait maternel (9,10). • Métabolisation : l’élimination est assurée essentiellement par les reins ; l’hydroxychloroquine subit une métabolisation hépatique préalable (alkylation et glucuronoconjugaison) (9). • La cinétique des APS connaît d’importantes variations inter- et intra-individuelles. Ces variations s’expliquent par l’influence de plusieurs facteurs intrinsèques (sexe, âge, poids, ethnie, état nutritionnel) et extrinsèques (tabac, alcool, médicament) (11). Indications en dermatologie Lupus érythémateux Les APS représentent le traitement de référence du lupus érythémateux subaigu ou chronique, permettant une amélioration nette des lésions cutanées dans deux tiers des cas. Leur place, en revanche, dans le traitement des manifestations extra-cutanées du lupus systémique reste à clarifier. Lupus subaigu ; les APS sont le traitement de référence. Ces molécules sont employées comme traitement d’appoint ou de prévention des rechutes de lupus systémiques avec des résultats plus ou moins convaincants. Plusieurs auteurs rapportent leur efficacité sur les manifestations articulaires (rôle d’épargne cortisonique) et sur certaines manifestations générales, telles la fièvre et l’asthénie (11,12). Les APS permettent une amélioration dans deux tiers des cas de lupus subaigu ou chronique. La sarcoïdose Les APS apparaissent comme la référence thérapeutique dans le traitement de la sarcoïdose cutanée. Leur efficacité a été démontrée dans les atteintes cutanées évolutives, à l’exclusion du lupus pernio qui est classiquement plus sévère et pose davantage de problèmes de résistance au traitement (11,13). La porphyrie cutanée tardive Plusieurs études ont confirmé l’intérêt des APS dans cette indication. Sarcoïdose ; les APS sont un traitement de référence. Ils sont utilisés, seuls ou en association avec des saignées, à des doses limitées (200 à 400 mg/ semaine pour la chloroquine ; 400 mg/semaine pour l’hydroxychloroquine) afin d’éviter la toxicité hépatique et hématologique de ces molécules, qui peut être majorée dans cette indication (14). La dermatomyosite Il existe peu de données concrètes dans la littérature, concernant cette indication. Néanmoins, les auteurs s’accordent à considérer les formes amyopathiques et celles de l’enfant comme des indications privilégiées (15). Les lucites idiopathiques Lucite polymorphe. Les APS font l’objet d’une utilisation large en cures discontinues dans le traitement préventif des poussées de lucites idiopathiques et de lucite polymorphe, contrastant avec une littérature relativement pauvre confirmant leur intérêt dans cette indication (11,16). Autres indications • Syndrome des antiphospholipides (SAP). L’hydroxychloroquine fait partie des nouvelles approches thérapeutiques proposées dans le cadre de la prise en charge des SAP persistants, du fait d’une efficacité démontrée sur des modèles expérimentaux (17). • Urticaire. L’utilisation des APS à été rapportée par plusieurs auteurs dans le traitement de certaines formes d’urticaire, notamment dans les formes sévères et dans l’urticaire solaire, néanmoins leur efficacité dans cette indication reste à démontrer (18). • Granulome annulaire. Plusieurs publications soulignent l’emploi des APS dans le traitement de cette affection parfois particulièrement résistante au traitement. Ils ont été utilisés avec succès chez des enfants atteints de granulomes annulaires généralisés dans une étude ouverte menée par M. Simon et coll., permettant l’amendement complet des lésions après 4 à 6 semaines de traitement (19). • Lichen buccal. L’existence de similitudes cliniques et histopathologiques entre les lésions orales du lichen et le lupus érythémateux a conduit plusieurs auteurs à expérimenter l’efficacité des APS dans cette indication. Des résultats satisfaisants ont été obtenus au cours d’une étude ouverte portant sur 10 patients recevant de l’hydroxychloroquine à des doses journalières de 200 à 400 mg/j pendant 6 mois (20). Une autre observation rapporte le traitement avec succès d’un lichen buccal chez une femme de 51 ans par la chloroquine (21). Les APS dans cette indication peuvent être considérés comme une alternative thérapeutique, notamment en cas d’échec des corticostéroïdes topiques qui restent le traitement de première ligne. • Stomatite ulcéreuse chronique. Cette affection se montre souvent particulièrement résistante à la corticothérapie orale ou systémique. Les APS ont montré une certaine efficacité et sont considérés par certains comme le traitement de première intention (22). • Enfin, les APS sont proposés dans le traitement de nombreuses autres affections dermatologiques comme en témoignent quelques études ouvertes, quelques cas ou séries limitées, ou parfois l’expérience propre des auteurs. Citons l’érythème réticulé avec mucinose, certaines formes de morphées, le lichen actinique, les vascularites urticariennes et l’épidermolyse bulleuse (22,23). Effets secondaires  Cutanés Ils sont certainement dominés par les troubles pigmentaires. Ces troubles sont fréquents et réversibles, à type de pigmentations brunes ou bleutées endobuccales, de mélanonychies, plus rarement de pigmentation plus diffuse. Outre les désordres pigmentaires, les APS peuvent être responsables de toxidermies allant d’une éruption bénigne à des formes plus graves (quelques cas de syndrome de Lyell publiés) (24). Chez le sujet psoriasique, peut survenir, au cours des premières semaines de traitement, une éruption étendue, éventuellement pustuleuse, considérée soit comme une toxidermie sévère, soit comme l’exacerbation d’un psoriasis préexistant (25). Les résultats d’une publication récente suggèrent que les effets secondaires cutanés des APS seraient plus fréquents chez les patients atteints de dermatomyosite en comparaison avec les patients lupiques (30 % des patients traités vs 3 à 10 %) (26). Les troubles pigmentaires cutanéo-muqueux sont les effets secondaires (réversibles) les plus fréquents des APS.  Ophtalmologiques • L’atteinte la plus fréquente est représentée par les dépôts cornéens et les troubles de l’accommodation (1 à 50 % selon les séries)(27). Les dépôts cornéens sont le plus souvent asymptomatiques, réversibles à la dégression et ne semblent pas corrélés à l’existence d’une maculopathie(28). Une réduction de dose est parfois nécessaire devant des anomalies de l’accommodation. Classique image en oeil de boeuf chez un patient traité par hydroxychloroquine. • Atteinte rétinienne : le premier cas de rétinopathie aux APS a été décrit par Hobbs et coll. en 1959 ; depuis, plus de 300 publications sont venues confirmer la toxicité élective de ces molécules pour les cellules de la rétine. La gravité de cette atteinte réside dans son irréversibilité potentielle, car une fois établie, cette intoxication rétinienne peut continuer d’évoluer malgré l’arrêt des APS, et il n’existe actuellement aucun traitement à cette rétinopathie toxique. Les ophtalmologistes préfèrent distinguer intoxication clinique et préclinique : – l’intoxication clinique : de fréquence difficile à apprécier, elle est l’apanage des patients peu ou mal surveillés. Une fois installée, elle se traduit par des anomalies sévères et irréversibles de la vision des couleurs et du champ visuel (scotome central caractéristique, métamorphopsies), une baisse de l’acuité visuelle aboutissant à une cécité irréversible. Le fond d’oeil et l’angiographie confirment le diagnostic en montrant le classique aspect d’« oeil de boeuf » (8) ; – l’intoxication préclinique : la gravité de la rétinopathie aux APS justifie l’importance de la surveillance afin de la dépister le plus précocement possible au stade préclinique. Le diagnostic de cette intoxication repose sur des critères électrophysiologiques, campimétriques et colorimétriques. Néanmoins, sa définition exacte est difficile à établir en l’absence d’examen gold standard en la matière, ce qui complique davantage la stratégie de prévention de la rétinopathie aux APS. Si les auteurs s’accordent sur l’absence de consensus concernant la stratégie de prévention et les modalités du suivi, tous insistent sur l’importance de cette surveillance et la nécessité de répéter les mêmes examens, l’évolutivité au cours du temps étant un paramètre majeur. Les nouvelles stratégies soulignent les limites de l’électrorétinogramme (ERG) global, étant donné que la rétinopathie aux APS affecte les 10 degrés centraux, et l’intérêt de l’ERG multifocal, qui permet d’explorer le champ visuel central et fournit une cartographie plus adaptée (29,30). La surveillance ophtalmologique est le point essentiel de la surveillance du traitement par APS. Toutes ces difficultés font qu’un protocole validé de prévention de l’intoxication aux APS reste un défi à relever. La méconnaissance de la physiopathologie de cette intoxication y est pour beaucoup ; plusieurs hypothèses sont avancées sans que celles-ci soient étayées par des études probantes. Ainsi, sont incriminés une prédisposition génétique à développer une telle rétinopathie, les interactions médicamenteuses (patients souvent polymédicamentés), le rôle de la perméabilisation des membranes des lysosomes et des mitochondries et l’augmentation de la lipofuscinogenèse (30,31). Dans l’attente d’un tel protocole, les facteurs de risque de développer une rétinopathie aux APS prennent une valeur primordiale. Ces facteurs ont été établis et rappelés par l’American Academy of Ophtalmology (tableau 1) (32).  Autres effets secondaires Ils peuvent être auditifs, neuro- musculaires, hématologiques, cardiovasculaires et hépatiques, mais restent rares, voire exceptionnels. Modalités de prescription Bilan pré-thérapeutique (hors bilan ophtalmologique) Le bilan initial comporte un examen clinique complet couplé à un interrogatoire soigneux, un hémogramme, un bilan hépatique et l’évaluation de la fonction rénale. L’ECG, le dépistage des porphyries et le dosage des G6PD ne sont pas systématiques. Bilan ophtalmologique La principale préoccupation est la surveillance ophtalmologique. Les recommandations françaises quant aux modalités de suivi ophtalmologique référencées dans le dictionnaire Vidal préconisent de réaliser initialement une acuité visuelle, un fond d’oeil dilaté, un champ visuel central, une étude de la vision des couleurs, une grille d’Amsler et un électrorétinogramme, puis de répéter tous les 6 à 12 mois le fond d’oeil, la vision des couleurs et la grille d’Amsler. Le rythme de surveillance n’est pas consensuel, nous proposons une surveillance au moins annuelle de tous les patients sous APS et au mieux adaptée selon les facteurs de risque (tableau 2). Posologie Il est nécessaire d’adapter les doses en fonction du poids : autour de 6 mg/kg/j pour l’hydroxychloroquine et de 3,5 mg/ kg/j pour la chloroquine. Chez le sujet obèse, un ajustement en fonction du poids idéal théorique est souhaitable. La prise est préférée le matin ou le midi en fin de repas. Évaluation du résultat Cette évaluation a lieu en général 12 semaines après le début du traitement. Lorsqu’il est efficace, le traitement est prolongé plusieurs mois ou années en recherchant une posologie quotidienne moindre. En cas d’échec, une augmentation de la posologie est possible avec réévaluation du résultat au bout d’un mois. Cas particulier de la femme enceinte • Chez la souris, la chloroquine utilisée aux doses usuelles n’est pas responsable d’effets tératogènes. À des doses élevées, quelques cas de microphtalmie et d’anophtalmie ont été notés. • Chez l’homme, aucune donnée fiable n’est disponible quant au risque de toxicité pour le foetus ou le nourrisson lorsque la femme enceinte reçoit un traitement prolongé par hydroxychloroquine. Une étude récente établie sur le suivi d’enfants issus de mères ayant reçu des APS pendant la grossesse et l’allaitement ne rapporte pas de troubles de la fonction visuelle ni d’anomalies du développement neurologique (33,34). On préconisera tout de même une extrême vigilance lors de l’utilisation de ces molécules chez la femme enceinte. Conclusion Les antipaludéens de synthèse représentent un outil thérapeutique majeur dans l’arsenal thérapeutique mis à la disposition du dermatologue dans le traitement de nombreuses affections. L’utilisation de ces molécules peu onéreuses et souvent efficaces exige en contrepartie une surveillance ophtalmologique rigoureuse afin de préserver au mieux la fonction visuelle des patients traités au long cours par les APS.

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