Publié le 27 déc 2009Lecture 13 min
Les difficultés du traitement des onychomycoses
E. DUHARD-BROHAN Consultations externes de dermatologie, CHU Trousseau, Tours
Le traitement des onychomycoses a été révolutionné ces quinze dernières années par l’arrivée des dispositifs antifongiques transunguéaux et des nouveaux antifongiques systémiques : terbinafine, fluconazole et itraconazole. Cependant, des difficultés persistent encore dans la prise en charge des onychomycoses.
Difficultés diagnostiques La première difficulté réside dans le diagnostic mycologique. La certitude de la contamination fongique et l’identification de l’agent responsable sont indispensables à la mise en place d’un traitement adapté et donc à la réussite du traitement. Plusieurs écueils se situent à ce niveau. Difficulté d’obtenir un prélèvement de qualité Qu’il soit fait par le clinicien luimême ou directement au laboratoire, certaines règles sont à respecter. Le prélèvement doit être fait à distance de tout traitement antifongique systémique ou local (3 mois sont nécessaires), à la jonction ongle sain/ongle malade et doit recueillir suffisamment de matériel pour permettre la réalisation de l’examen direct et de la culture. Ce prélèvement nécessite un personnel expérimenté connaissant bien la mycologie, or ce n’est pas toujours le cas en pratique ; il peut alors être fait par le dermatologue lui-même, mais cela prend un peu de temps. Difficultés du diagnostic mycologique et de son interprétation • L’examen direct est indispensable pour affirmer un diagnostic de certitude d’une dermatophytie, mais il est difficile sur l’ongle et nécessite un prélèvement de bonne qualité et un personnel expérimenté, ce qui expose au risque de faux-négatifs. • La culture permet l’identification du champignon responsable dont dépend le choix du traitement. • L’interprétation des résultats n’est pas toujours facile. Un examen direct positif et l’isolement d’un dermatophyte en culture permettent un diagnostic de certitude. Mais s’il est négatif, se pose alors le problème de la pathogénicité du dermatophyte retrouvé. En cas d’examen direct négatif, se pose le problème de la pathogénicité du dermatophyte retrouvé. L’isolement d’un Candida albicans, qui n’est pas normalement présent sur la peau saine, est un indice de pathogénicité. Seul l’examen direct permet d’affirmer la pathogénicité d’un Candida autre que C. albicans. Si l’examen direct est négatif, on s’orientera vers une colonisation par un Candida d’une pathologie d’autre origine. L’affirmation de la pathogénicité d’une moisissure nécessite un examen direct montrant des filaments évocateurs d’une moisissure et la présence de la moisissure en culture pure et en tous les points d’ensemencement. Idéalement, un second prélèvement devrait confirmer le diagnostic. Or, les traitements antifongiques sont institués dans plus de 50 % des cas en l’absence de confirmation du diagnostic mycologique et les laboratoires expérimentés sont peu nombreux. Les traitements antifongiques sont institués dans plus de 50 % des cas en l’absence de confirmation du diagnostic mycologique. Les techniques moléculaires qui semblent intéressantes pour pallier ces difficultés ne sont pas encore de pratique courante. Difficultés liées au champignon en cause Les dermatophytoses Les dermatophytes ne posent en principe aucun problème, car la terbinafine est efficace à la dose de 250 mg/j pendant 3 à 6 mois pour l’atteinte des orteils, et de 6 semaines à 3 mois pour les doigts, avec des taux de guérison allant de 50 à 80 %. Les effets indésirables sont le plus souvent bénins, les plus fréquents étant des troubles digestifs, cutanés, sensoriels ou neurologiques. Figure 1. Onychomycose latérale à T. rubrum nigricans favorisée par la pression du 2e orteil sur gros orteil. Les résistances sont exceptionnelles. Par contre, les souches pigmentées sont plus résistantes aux antifongiques. Le problème se pose en cas d’intolérance : on peut alors utiliser le fluconazole à la dose de 150 à 200 mg/semaine pendant 6 à 9 mois pour les doigts et 9 à 12 mois pour les orteils, ou encore l’itraconazole, mais ces médicaments n’ont pas l’AMM pour le traitement des onychomycoses. Les onychomycoses à Candida L’étiologie mycosique primitive d’une onycholyse à Candida albicans est rare. Il s’agit le plus souvent de la colonisation secondaire d’une onycholyse d’autre origine (mécanique, contacts fréquents avec l’eau, dermite de contact, allergie aux protéines), qui nécessite l’association d’une corticothérapie et d’un antifongique local. L’atteinte des mains est la plus fréquente et une protection rigoureuse des mains est indispensable à la guérison. Un traitement par voie générale est proposé en cas d’échec ou d’onychomycose primitive à Candida albicans. Dans ce dernier cas, la terbinafine n’est pas la molécule de choix puisque seulement fongistatique vis-à-vis du Candida. Le fluconazole et le kétoconazole sont plus appropriés mais avec, pour ce dernier, des risques biologiques. L’itraconazole est, en France, de prescription initiale hospitalière. Les onychomycoses à moisissures Les moisissures sont peu sensibles in vivo aux traitements systémiques disponibles. Figure 2. Onychomycose à T. rubrum chez une fillette de 5 ans. Dermatophytome nécessitant l’avulsion de toute l’hyperkératose sous-unguéale avant l’institution du traitement systémique. Leur traitement est donc difficile et réclame l’avulsion de toute la zone pathologique, voire de la totalité de l’ongle atteint, soit chirurgicale soit par la kératolyse chimio-antifongique. Ce geste sera suivi d’un traitement local : amphotéricine B en lotion dermique ou bifonazole directement sur le lit de l’ongle, 2 fois par jour, jusqu’à repousse saine et complète de l’ongle. Aucun traitement systémique n’est efficace in vivo sur les moisissures. Seul l’itraconazole, qui n’a pas l’AMM en France dans cette indication, est efficace sur les atteintes à Aspergillus sp. à la posologie de 200 mg/jour. Aucun traitement systémique n’est efficace in vivo sur les moisissures. Difficultés liées aux caractéristiques cliniques de l’onychomycose Le nombre d’ongles atteints et le siège de l’onychomycose sont à prendre en considération. ● Les atteintes distales bénéficient du traitement par solution filmogène ou vernis antifongique. Ces traitements sont efficaces et ont constitué une grande avancée dans le traitement des onychomycoses ; ils sont faciles à appliquer, mais restent néanmoins des traitements longs. La kératinolyse antifongique suivie d’un traitement par bifonazole sur le lit de l’ongle est également suffisante dans les atteintes distales, mais elle est difficilement envisageable pour une atteinte polydactylique en raison du caractère fastidieux de l’application. ● En cas d’onycholyse, les traitements systémiques et les dispositifs transunguéaux sont inefficaces ; la diffusion des antifongiques systémiques ne peut se faire à partir du lit de l’ongle et les solutions filmogènes sont inefficaces au niveau de la portion de tablette décollée puisqu’elles ne peuvent atteindre le lit de l’ongle sous-jacent. Une avulsion de la tablette décollée est donc nécessaire. Figure 3. Onychomycose à Fusarium spp. L'avulsion de la totalité de la tablette unguéale est nécessaire avant la mise en route du traitement local. Elle permet un prélèvement à l’endroit adéquat, évite l’aggravation liée à une manucurie excessive et le développement de levures et de moisissures dans le milieu humide et chaud que constitue la portion d’ongle décollée. Elle permet l’application de thérapeutiques locales : imidazolés, ciclopiroxolamine ou amphotéricine B. En cas d’onycholyse, les traitements systémiques et les dispositifs transunguéaux sont inefficaces. ● Les atteintes longitudinales De la même façon, une atteinte longitudinale des bords latéraux, qui sont non adhérents aux sillons latéraux, est difficilement accessible aux antifongiques systémiques ou locaux. Mais, le découpage des zones décollées est parfois difficile à obtenir pour des raisons esthétiques. ● En cas de dermatophytome, c’est-à-dire d’une masse kératosique sous-unguéale volumineuse, la pénétration du principe actif jusqu’au lit de l’ongle est aléatoire. ● Les paronychies chroniques sont souvent des candidoses secondaires, le problème primitif étant une allergie aux protéines. Le traitement antifongique seul échoue le plus souvent ; une corticothérapie locale associée à l’antifongique est nécessaire. Mais le plus difficile à obtenir est une protection rigoureuse des mains, pourtant indispensable au succès du traitement. Le port d’une double paire de gants, l’une de coton, l’autre de caoutchouc, est recommandé mais n’est pas toujours réalisable en fonction des tâches à effectuer. Figure 4. Onychomycose sous-unguéale avec paronychie chronique. De plus, la panoplie des pansements, qui s’est pourtant notablement étoffée cette dernière décennie, n’offre quasiment pas de pansements pour doigts qui soient pratiques, faciles à poser, étanches et permettant une activité normale. En l’absence de ces pansements, on peut utiliser une bande d’Opsite Flexigrid® mise en place sur le repli sus-unguéal et couvrant la base de la tablette afin d’obturer l’accès au cul-de-sac unguéal, mais elle n’est pas très facile à poser et n’est pas très résistante. Les paronychies chroniques sont souvent des candidoses secondaires. Difficultés liées à l’âge du patient ou à son état général ● Le sujet âgé Il n’y a pas de raison de traiter différemment de tout autre adulte un sujet âgé en bon état général, sans problème annexe particulier, et qui en fait la demande expresse. Les difficultés rencontrées sont de plusieurs ordres : il s’agit souvent de sujets polymédicamentés, et les difficultés sont les mêmes que pour tout autre sujet polymédicamenté. L’application des traitements locaux au niveau des pieds est difficile par manque de souplesse. Figure 5. A : onychomycose de tous le orteils du pied gauche ayant résisté à plusieurs traitements longs par terbinafine orale ; B : la guérison a été obtenue par un traitement de 12 mois au fluconazole 200 mg/semaine associé à des ponçages réguliers par un pédicure et un traitement local par amorolfine (résultat du traitement à 9 mois). La contamination fongique est souvent secondaire à une dystrophie unguéale d’autre origine, or il est important de pouvoir affirmer la pathogénicité du champignon en cause et ne pas chercher à obtenir une restitution ad integrum d’une tablette unguéale qui était déjà dystrophique avant la contamination fongique. Des soins de pédicurie sont particulièrement nécessaires chez ces patients qui ne peuvent atteindre leurs ongles eux-mêmes ou voient mal, afin d’éliminer au maximum la partie d’ongle contaminée. Cependant, bon nombre de patients ne peuvent y accéder, ces soins n’étant pas remboursés par la Sécurité sociale. L’enfant La terbinafine n’a pas l’AMM en France chez l’enfant pour le traitement des onychomycoses, alors qu’elle est utilisée dans d’autres pays européens ; elle est cependant souvent mieux supportée sur le plan digestif et plus efficace que la griséofulvine. Il faut rappeler que si la prescription hors AMM n’est pas obligatoirement une faute, elle engage la responsabilité du médecin ; l’information des parents est impérative, en expliquant le bénéfice du traitement (justifiant cette prescription) et les risques encourus. D’autre part, une prescription hors AMM n’est pas remboursable. La dose préconisée est de 250 mg/j lorsque le poids excède 40 kg, 125 mg/j lorsqu’il se situe entre 20 et 40 kg, enfin 62,5 mg/j s’il est inférieur à 20 kg. La durée du traitement comme pour l’adulte est de 6 semaines dans l’onychomycose des mains et 3 mois dans celle des pieds. Chez l’enfant, la durée du traitement est de 6 semaines pour les mains et 3 mois pour les pieds. La femme enceinte La terbinafine est déconseillée pendant la grossesse et l’allaitement. Les sujets polymédicamentés La terbinafine a peu d’interactions médicamenteuses. Elle diminuerait l’action anticoagulante de la warfarine. En revanche, le fluconazole et l’itraconazole réclament la prudence en association avec les anticoagulants, la ciclosporine, le tacrolimus, la digoxine, les sulfamides hypoglycémiants et la théophylline. Les sujets porteurs d’autres pathologies Le problème se pose surtout en cas de pathologie hépatique et il n’est pas raisonnable de faire courir un risque au patient. Dans ces cas, seul le traitement local est proposé, associé à l’avulsion chimio- antifongique ; une stabilisation des lésions peut être espérée mais pas une guérison. Les traitements oraux sont contreindiqués en cas d’hépatite chronique active. Autres difficultés • Une mauvaise compliance du patient est un facteur d’échec. Le choix du traitement doit tenir compte de la demande du patient, de son état général, de son mode de vie. • Une récidive est possible en cas de traitement insuffisamment long ; il est recommandé de revoir le patient au bout de 3 mois pour juger de l’efficacité et de l’encourager dans la poursuite du traitement. Il est recommandé de revoir le patient au bout de 3 mois pour juger de l’efficacité du traitement. • L’existence d’un autre foyer mycosique non traité expose à la récidive. Par exemple, une onychomycose distale ou superficielle traitée localement récidivera s’il existe une atteinte plantaire diffuse pour laquelle un traitement systémique est nécessaire. Des foyers plus distants peuvent être également à l’origine de recontamination (plis inguinaux, pli fessier, plis axillaires). • Une réinfestation est possible après la guérison clinique et mycologique, et peut faire envisager l’utilité d’un traitement préventif qui devrait être simple (par ex. : application d’amorolfine vernis 2 fois par mois avec cependant le risque d’oubli). • La contamination intra-familiale est possible si un membre de la famille n’est pas traité. • La persistance de facteurs favorisants, comme l’existence d’un diabète, d’un psoriasis unguéal ou d’une immunodépression, un chaussage inadéquat, la fréquentation de lieux à forte densité en dermatophytes (piscines, salles de sport) sont autant de difficultés. • Une prédisposition génétique a été mise en évidence pour les infections à Trichophyton rubrum ; ces sujets se recontamineront plus facilement. • Un mauvais choix de l’antifongique est une source d’échec rappelant la nécessité de l’examen mycologique. Conclusion Les difficultés rencontrées dans le traitement des onychomycoses sont essentiellement liées à l’absence ou au manque de fiabilité du diagnostic mycologique, aux limites des thérapeutiques antifongiques systémiques ou locales actuelles (mauvaise diffusion, événements indésirables potentiels, interactions médicamenteuses), à la nature du champignon en cause, en particulier les moisissures, au manque de compliance des patients du fait d’une durée de traitement encore longue et au manque de protection pratique à utiliser pour les paronychies chroniques des doigts. Pour la pratique, on retiendra En attendant le développement et la mise sur le marché de nouveaux outils diagnostiques, de nouveaux antifongiques systémiques ou topiques encore plus performants, ou de dispositifs permettant une meilleure diffusion des antifongiques topiques, il est recommandé de : • prendre l’habitude de demander un prélèvement avant au moins tout traitement systémique, trouver un laboratoire compétent en mycologie ; et si l’on n’est pas sûr de la qualité du prélèvement, le faire soimême en respectant la technique ; • choisir le traitement adapté en fonction du champignon en cause, de la forme clinique et de l’étendue de l’atteinte ; • avant la mise en route du traitement, éliminer toute la partie pathologique (ce que devrait avoir fait le prélèvement) et découper toutes les zones onycholysées ; • revoir le patient au bout de 3 mois de traitement pour juger de l’efficacité du traitement et encourager le patient dans la poursuite d’un traitement local jusqu’à guérison complète ; • en cas d’inefficacité du traitement ou d’amélioration incomplète, ne pas poursuivre le traitement systémique indéfiniment et rechercher les causes (mauvais diagnostic, association d’une autre pathologie, mauvaise diffusion de l’antifongique).
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