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Dermatologie générale

Publié le 22 mai 2012Lecture 11 min

L’ivermectine, quoi de neuf et que faut-il ne pas oublier ?

L. MACHET, Service de dermatologie, CHU et Université François Rabelais, Tours
Les parasitoses tropicales ont été les premières indications de l’ivermectine, avec, en particulier, son AMM dans les filarioses (1). L’ivermectine est également efficace dans d’autres parasitoses (helminthes, anguillules, gnathostomes, Larva migrans, tungiase, etc.) (2). Mais sa prescription est devenue plus familière du dermatologue avec l’AMM obtenue dans la gale et dans le traitement des pédiculoses ou de la démodécidose.
Qu’est-ce que l’ivermectine ? L’ivermectine (Stromectol® ou Mectizan®) est un « vieux » médicament antiparasitaire, ayant montré son action chez les animaux depuis 1980 (3) et chez les humains depuis le début des années 1990(1,2,4). Cette molécule appartient à la famille des avermectines, qui a été découverte dans un microorganisme Streptomyces avermitilis. Une molécule modifiée a été synthétisée et nommée ivermectine. Sa structure est proche de celle des macrolides, mais la molécule n’a pas d’activité antibactérienne. En revanche, elle exerce une action toxique entraînant la paralysie de vers mais aussi d’acariens adultes. L’ivermectine est inactive sur les oeufs. Son action toxique paralysante ne concerne pas les humains. Sa concentration dans la peau est maximale entre 8 h et 24 h, et elle est rapidement éliminée. Figure 1. Localisations habituelles de la gale. Sa marge de sécurité en termes de dose semble assez large : les animaux sont parfois traités à forte dose (0,6 mg/kg/j tous les jours pendant un mois). Chez les humains, un essai mené chez 68 volontaires sains a montré que des doses allant de 30 mg 3 fois par semaine jusqu’à 120 mg en une prise avaient été bien tolérées(5). La gale : l’ancien et le nouveau ? Rien de neuf du côté de la clinique de la gale et de ses localisations (figures 1 à 3). La dermoscopie permet seulement de mieux voir les sillons (figure 4).  En thérapeutique vétérinaire L’efficacité de l’ivermectine chez le porc est connue depuis 1980 (3).   Figure 2. Gale localisée à l’aisselle. Son efficacité dans le traitement des troupeaux de chèvres infestés par des sarcoptes et l’intérêt d’une deuxième administration 1 à 2 semaines après la première avaient déjà été montrés(6).  En thérapeutique humaine L’efficacité de l’ivermectine chez les humains a été remarquée chez des patients infestés par l’anguillule et Sarcoptes scabiei, et qui avaient été traités par une seule dose. Figure 3. Gale ancienne. Des rechutes de la gale étaient déjà notées à 3 mois. L’AMM a été obtenue en 2003 en France, avec le schéma d’une seule administration orale de 0,2 mg/kg. Une dose de rappel à J15 est préconisée pour les gales norvégiennes. Une revue systématique Cochrane associée à une métaanalyse des essais thérapeutiques dans la gale a été publiée en 2007 et actualisée en 2010 (7). Cette étude a sélectionné 20 essais randomisés, totalisant 2 392 participants (3 études chez des adultes, 6 chez des enfants, 11 comprenaient des enfants et des adultes) ; 19 de ces 20 essais avaient été menés dans des populations défavorisées. Le critère principal de jugement était l’échec constaté entre 7 et 28 jours. Le critère secondaire était la persistance du prurit. L’ivermectine dans cette métaanalyse était prescrite en une seule fois. Deux essais (n = 194) ont montré la supériorité de la perméthrine à 5 % (dont on ne dispose pas en France) sur le crotamiton (Eurax®), 5 essais (n = 753) ont montré la supériorité de la perméthrine sur le lindane. Un essai (n = 85) montrait que l’ivermectine était un peu inférieure à la perméthrine. Cinq essais ont comparé le benzoate de benzyle (Ascabiol®) à l’ivermectine, sans que l’on puisse pooler ces essais (dose d’ivermectine variable entre 0,1 et 0,2 mg/kg, concentration de benzoate de benzoyle également variable entre 10 et 25 % et 2 ou 3 applications ; mais l’efficacité était comparable.  Faut-il systématiquement prescrire une dose de « rappel » à J15 ? L’inefficacité sur les oeufs, les rechutes constatées avec une seule dose, l’efficacité plus grande démontrée chez l’animal plaident pour une deuxième dose.  Figure 4. Dermoscopie numérisée (MolemaxII) d’un sillon de gale. Si l’ivermectine monodose (dans le schéma de l’AMM en France) est inférieure à la perméthrine, l’efficacité est comparable quand une deuxième dose est administrée 2 semaines après la première prise (8). C’est donc probablement ce schéma qu’il faut privilégier si l’on veut augmenter l’efficacité.  Le risque de sélectionner les résistances ? Ce risque est connu, chez l’animal et chez l’homme, mais pour l’instant il reste très faible (9). La pédiculose (figure 5) Déjà en 1994, une étude ouverte de 26 patients âgés de 5 à 17 ans, avec présence confirmée d’oeufs (lentes), avait étudié l’efficacité de l’ivermectine à la dose de 0,2 mg/kg. À J14, les auteurs observent 20 réponses (77 %), dont 6 cliniques et parasitologiques ; mais à J28, 4 des 6 patients « guéris » étaient en rechute (10). Une autre étude ouverte réalisée en 1998 dans une région des États-Unis caractérisée par une forte résistance des poux aux pyrèthres et au malathion, avait confirmé l’efficacité de l’ivermectine chez 44 patients âgés de 3 à 74 ans(11). O. Chosidow et B. Giraudeau ont mené un essai multicentrique international publié en 2010 dans le New England Journal of Medicine (12).  Figure 5. Traces de morsures de poux. La randomisation était faite en cluster (à l’échelon d’une famille). Dans ces familles, seuls les sujets atteints par les poux étaient traités soit par ivermectine soit par malathion (Prioderm®). Les enfants de plus de 2 ans et de plus de 15 kg pouvaient être inclus. L’application de la lotion et le prélèvement pour chercher des poux vivants étaient réalisés par du personnel formé. L’essai a été planifié pour montrer dans un premier temps l’absence d’infériorité, puis dans un deuxième temps la supériorité de l’ivermectine donnée à la dose de 0,4 mg/kg à J1 et J8. Le critère principal de jugement était la disparition des poux vivants à J15. Dans le groupe ivermectine, 378/397 patients (95,2 %) étaient en rémission contre 352/414 patients (85,0 %) dans le groupe malathion. La différence était de 10,2 % (IC95% : 4,6-15,7 ; p < 0,001). Les patients qui n’étaient pas en rémission à J15 ont été traités par malathion en cas d’échec de l’ivermectine, ou par ivermectine en cas d’échec du malathion. À J29, 8/8 patients (100 %) traités par malathion et 30/31 patients (97 %) traités par ivermectine étaient en rémission. La tolérance était bonne. Les trois quarts des patients déclarent préférer les comprimés contre 13 % pour la lotion. Une autre étude récente a rapporté l’efficacité de l’ivermectine chez des enfants mexicains âgés de 6 à 15 ans, traités par 0,2 mg/kg/j : 44 enfants ont été inclus ; 18 (41 %) étaient en échec à J8 (persistance de poux vivants) et ont été traités une deuxième fois. À J15, il ne persistait aucun pou vivant, et 41 des 44 enfants (93 %) n’avaient plus d’excoriations de la nuque ni de prurit(12). Quelques autres études ont depuis été rapportées avec une efficacité semblable (13-17). Demodex, démodécidose et ivermectine ? Des animaux ont été traités pour une démodécidose par ivermectine à forte dose (0,6 mg/kg/j) et pendant plusieurs semaines (18). Chez les humains, des cas isolés de démodécidose, de folliculites à Demodex chez des immunodéprimés ont été améliorés par l’ivermectine seule ou associée à la perméthrine (19).   Figure 6. Rosacée granulomateuse ou démodécidose ? Le traitement local par perméthrine à 1 % a fait disparaître les lésions. Le lien entre la présence du Demodex (qui n’est pas pathogène) et la survenue de signes cliniques (blépharite chronique, rosacée oculaire, rosacée du visage [figure 6], folliculites à éosinophiles) reste très débattu. Mais une métaanalyse récente a montré que l’association rosacée et forte présence de Demodex était statistiquement importante (20). Cela ne prouve en rien la causalité du Demodex sur la survenue des signes cliniques. Toutefois, deux études publiées en 2011 totalisant 31 patients ont montré l’efficacité de l’ivermectine sur les signes cliniques de l’atteinte oculo-palpébrale, incluant l’amélioration de la fonction lacrymale attestée par des tests de Schiermer (21,22). Cela tend à démontrer un lien de causalité, au moins dans la blépharite chronique à Demodex. Tolérance, résistances ? Les effets secondaires de l’ivermectine sont minimes aux différentes posologies utilisées pour traiter des patients (incluant de jeunes enfants) entre 0,15 et 0,4 mg/kg en une prise, répétée éventuellement 8 à 15 jours plus tard. En outre, des études de pharmacologie et de toxicologie chez des volontaires sains ont montré que des doses bien supérieures à 0,4 mg/kg sont bien tolérées. La responsabilité de l’ivermectine dans la survenue de décès dans des maisons de retraite, qui avait été soulevée en 1997, est totalement écartée (23). Des cas exceptionnels d’hépatites ont été publiés (24). La molécule n’est pas dangereuse pendant la grossesse même si comme toujours le rapport bénéfice/risque doit être évalué (25). L’AMM pédiatrique dans la gale concerne les enfants de plus de 15 kg. L’utilisation de l’ivermectine va donc augmenter dans les années à venir en France, en raison notamment de la résistance croissante des poux aux différents topiques antiparasitaires et se maintenir à un niveau élevé dans la gale en raison de sa facilité d’emploi et du remboursement. Cela risque d’augmenter la survenue de résistances, déjà démontrées expérimentalement et chez quelques patients au moins dans la gale, mais, qui pour l’instant, ne pose pas un problème majeur. Conclusion Les années 2010 et 2011 apportent des arguments forts pour : – l’intérêt de l’ivermectine dans la pédiculose humaine (0,4 mg/kg, à J1 et J8) ; – pour l’administration d’une deuxième dose (J15) dans la gale ; – la possibilité du traitement des manifestations ophtalmologiques liées au Demodex ; l’ivermectine a montré son intérêt dans des études ouvertes, mais la démonstration de son efficacité et de son utilité reste à prouver par des essais contrôlés et bien menés dans la démodécidose ou dans la rosacée.  En pratique, on retiendra • Ce qu’on savait déjà : – L’ivermectine est un médicament déjà ancien, prescrit à grande échelle dans les filarioses. Il est bien toléré, à une concentration maximum dans la peau entre 8 h et 24 h après la prise, et est éliminé complètement en 4 jours. – Il a une efficacité démontrée dans la gale, et a obtenu une autorisation de la mise sur le marché et un remboursement à la dose unique de 0,2 mg/kg/j pour les gales communes, avec une dose de rappel à J15 pour les gales norvégiennes. – Des études animales et des études ouvertes de petites séries de patients avaient montré dès les années 90 l’efficacité de l’ivermectine dans la pédiculose, y compris dans des régions à forte résistance aux antiparasitaires topiques. – Des études animales et quelques cas cliniques avaient aussi suggéré l’intérêt potentiel de l’ivermectine dans la démodécidose. • Ce qui est plus nouveau : – Dans la gale, une métaanalyse récente a montré que l’ivermectine en une dose de 0,2 mg/kg/j n’est pas plus efficace que les topiques antiparasitaires utilisés en France, et moins efficace que la perméthrine à 5 % (indisponible en France). Mais, au moins une étude a montré qu’avec une deuxième prise, l’efficacité est accrue, comparable alors à celle de la perméthrine à 5 %. Cette deuxième dose, bien que non recommandée dans la gale commune par le Vidal®, renforce donc l’efficacité. – Dans la pédiculose, l’efficacité de l’ivermectine 0,4 mg/kg/j à J1 et J8, et sa supériorité sur le malathion (Prioderm®) a été démontrée dans un essai méthodologiquement remarquablement conduit. En outre, cette dose plus forte était très bien tolérée y compris chez des enfants entre 2 et 5 ans. – Dans la rosacée oculaire, la fréquence de la présence de Demodex et la maladie oculaire a été montrée par une métaanalyse publiée en 2010. De plus, deux études publiées en 2011 totalisant 31 patients, ont montré l’efficacité de l’ivermectine sur les signes cliniques, incluant l’amélioration de la fonction lacrymale attestée par des tests de Schiermer.

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