Quand le dermatologue fait ouvrir la bouche

Toutes les glossites ne sont pas en effet des mycoses… Les observations rapportées par E Bourrat et coll. (Saint-Louis) l’illustrent particulièrement bien. La première concernait un jeune homme de 17 ans consultant pour une langue sèche, érythémateuse, atrophique (langue rôtie) dans un contexte d’amaigrissement et de fatigue générale avec anorexie. L’apparition d’un syndrome polyuro-polydypsique a conduit au bilan biologique qui a permis le diagnostic de…diabète insulinodépendant. La deuxième patiente âgée de 40 ans souffrait depuis 5 ans de stomatodynie. La langue était le siège d’une papillomatose. L’examen général a décelé un aspect papillomateux brunâtre de la région péribuccale et des grands plis faisant évoquer un acanthosis nigricans, point d’appel classique d’une néoplasie : il s’agissait d’un cholangiocarcinome mis en évidence au PET scan. Enfin, chez la troisième patiente c’est également l’apparition d’une langue dépapillée et atrophique qui a inauguré l’installation de lésions cutanées polycycliques périorificielles et distales associées à un diabète non insulinodépendant et une cardiopathie non obstructive, l’ensemble du tableau rapporté à un glucagonome décelée à l’imagerie.    Les stomatodynies justifient souvent un antidépresseur Autre casse-tête fréquent proposé au dermatologiste : la stomatodynie. En réexaminant les 163 dossiers des patients vus en consultation de pathologie buccale pendant 7 ans, l’équipe de Brest a retrouvé 21 cas de stomatodynie soit une prévalence de 12,88 %. Dix sept d’entre eux ont répondu à un questionnaire téléphonique ultérieur : il s’agissait en majorité de femmes d’âge moyen 66,4 ans qui souffraient de stomatodynie depuis en moyenne 3,76 ans (quelques mois à 10 ans). Les symptômes, le plus souvent à type de brûlures s’aggravaient au cours de la journée mais diminuaient lors des repas. Ils touchaient préférentiellement la langue (70 %), et parfois les lèvres (28 %). On retrouvait fréquemment une xérostomie associée (65 % des cas), un état de stress ou de fatigue générale. L’apparition des manifestations était attribuée à un traumatisme psychique ou à des soins dentaires dans 41 et 29 % des cas respectivement. La presque totalité des patients ont reçu un inhibiteur de la recapture de la sérotonine associé parfois à une psychothérapie, ce type de prise en charge étant efficace totalement ou partiellement à 6 mois dans plus de trois quart des cas.   Ouvrez la bouche des fumeurs Même si votre patient ne se plaint d’aucune gêne à ce niveau, il n’est cependant pas inutile de lui faire ouvrir la bouche…surtout s’il est fumeur. Sur 81 patients souffrant de cette addiction (score au test de dépendance de Fagerström supérieur à 4 vus dans un service de dermatologie de Rabat (Maroc) sur une période de six mois, 68 % signalaient une dysgueusie, 52 % des gingivorragies au brossage des dents, 92 % présentaient des anomalies de la coloration dentaire, 11 % avaient une formule dentaire diminuée par rapport à des sujets de même âge non fumeurs, 19 % avaient des kératoses buccales, 5 % un aspect de palais du fumeur et 13 % avaient une mélanose du fumeur. Un patient avait un carcinome verruqueux du palais dur. Plus de trois quarts des sujets, informés des lésions constatées se sont engagées sur la voie du sevrage. Le dermatologue comme le stomatologue peut donc jouer une part active dans la lutte contre le tabagisme en permettant une visualisation des méfaits du tabac, souvent  plus incitative que les discours pour réduire ou faire cesser l’intoxication.