Publié le 20 aoû 2012Lecture 15 min
Psoriasis et hépatite virale C chronique : quel traitement proposer ?
F.Z. LAMCHAHAB*, F. RAISSOUNI**, B. HASSAM* *Service de dermatologie-vénéréologie **Service des explorations fonctionnelles digestives d’hépato-gastro-entérologie CHU Ibn Sina, faculté de médecine et de pharmacie, université Mohamed V, Rabat, Maroc
Le psoriasis représente la dermatose la plus fréquente ayant un impact important sur la qualité de vie des patients. En cas d’association psoriasis et hépatite virale chronique C, l’utilisation des traitements systémiques est limitée en raison du risque de réactivation virale et la progression de la charge virale. Devant la difficulté de la prise en charge des patients psoriasiques atteints d’hépatite C, en rapport avec le déclenchement ou l’aggravation du psoriasis par l’interféron alpha, mais aussi avec l’hépatotoxicité des traitements systémiques du psoriasis, il est nécessaire d’établir une conduite à tenir pratique.
Le psoriasis est une dermatose érythémato-squameuse chronique évoluant par poussée-rémission, elle se caractérise cliniquement par une lésion érythémato-squameuse bien limitée siégeant au niveau des zones exposées au frottement. Il survient volontiers sur un terrain prédisposé génétiquement sous l’influence de facteurs environnementaux et infectieux (1). L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) constitue la plus fréquente des maladies infectieuses dans le monde (2). Sa prévalence au Maroc est estimée à 1,93 % de la population générale selon les derniers chiffres fournis par l’unité d’épidémiologie du ministère de la Santé. Dans plus de 70 % des cas, l’infection par VHC devient chronique après un épisode aigu pouvant passer inaperçu. L’évolution se fait vers le stade de cirrhose et d’insuffisance hépatique chronique avec un risque accru de survenue de carcinome hépatocellulaire (2). Le traitement a révolutionné le pronostic, surtout depuis l’arrivée de l’interféron apha (IFN alpha) et de la ribavirine (3). Mais, l’effet positif du traitement, incontestable, est obtenu au prix d’effets indésirables cliniques et biologiques. L’exacerbation d’un psoriasis préexistant ou la survenue d’un psoriasis cutané ou arthropathique est un de ces événements indésirables (4). Bien que certains auteurs aient signalé la prévalence augmentée d’infection par le VHC chez les patients psoriasiques, peu d’études se sont intéressées aux traitements du psoriasis concomitant à une hépatite C chronique (5). Dans ce cadre, plusieurs moyens thérapeutiques pourraient être proposés selon la gravité et la forme clinique du psoriasis : traitements topiques, physiques ou systémiques (rétinoïdes, biothérapies, immunosuppresseurs). Devant la difficulté de la prise en charge de ces patients, en rapport avec le déclenchement ou l’aggravation du psoriasis par l’IFN alpha et l’hépatotoxicité des traitements systémiques du psoriasis, il s’est avéré judicieux d’établir une mise au point sur le traitement à proposer en cas d’association psoriasis-infection chronique à hépatite virale C (HVC). Traitements topiques Dans les formes localisées, un traitement topique doit être proposé en première intention, à base d’émollients et de kératolytiques (6). • Les dermocorticoïdes réputés pour leurs effets indésirables cutanés et extracutanés sont actuellement dépassés par d’autres traitements topiques, notamment les dérivés de la vitamine D dont l’efficacité est similaire aux dermocorticoïdes de classe forte, dans le psoriasis en plaques. • Les dérivés de la vitamine D ont une double action, d’une part, sur les kératinocytes en inhibant leur prolifération et favorisant leur différenciation et, d’autre part, sur les lymphocytes T par leur effet immunomodulateur (7). • Les inhibiteurs de calcineurine par voie topique sont indiqués principalement en cas de psoriasis inversé ou dans les localisations faciales (8). Cependant, il n’existe pas d’études spécifiques sur l’intérêt des traitements topiques des psoriasiques atteints d’hépatite C virale chronique active. Traitements physiques Lorsque la maladie est plus étendue, l’application de traitements locaux n’est plus pratique, la photothérapie est ainsi justifiée. Photothérapie UVB La photothérapie UVB à spectre étroit : 313 ± 2 nm (UVB TL01) est plus efficace et mieux tolérée. Mais, en l’absence d’études spécifiques, ses effets à long terme restent à évaluer, notamment le risque d’hépatotoxicité chez les patients atteints d’HVC (9). PUVAthérapie La PUVAthérapie ou chimiothérapie photoactivée, consiste en une exposition aux UVA après ingestion d’un photosensibilisant (psoralène). C’est un traitement antimitotique et immunosuppresseur par son action sur la photo-inactivation de protéines. L’efficacité de la photothérapie UVA en cas de psoriasis étendu est certaine. Mais, encore une fois, aucune étude n’a été effectuée chez les patients atteints d’hépatite C recevant une PUVAthérapie. Toutefois, dans l’étude de R.S. Dawe et coll. en 2002, les biopsies hépatiques réalisées chez les patients traités par PUVAthérapie, n’avaient pas montré de modifications histologiques un an après les séances avec une dose cumulée moyenne de psoralène de 3 204 mg (10). Bien que l’hépatotoxicité de la PUVAthérapie ait été rapportée chez des patients atteints d’hépatopathie chronique, une atteinte hépatique ne constitue pas une contre-indication absolue à la PUVAthérapie et pourrait être une alternative thérapeutique envisageable chez les patients psoriasiques atteints d’hépatite C (11). Traitements systémiques Méthotrexate Le méthotrexate (MTX) est indiqué selon l’AMM dans le psoriasis en grandes plaques, étendu et résistant aux thérapeutiques classiques (PUVAthérapie, rétinoïdes) ; dans l’érythrodermie psoriasique, le psoriasis pustuleux généralisé et le rhumatisme psoriasique. Le MTX est un antagoniste de l’acide folique dérivé de l’aminoptérine qui a été commercialisé en 1955. À forte dose, les effets cytotoxiques et antiproliférants du MTX sont liés à l’inhibition compétitive de la dihydrofolate réductase qui induit une inhibition de la synthèse d’ADN, d’ARN et de protéines (12). La toxicité hépatique du MTX a été rapportée dans plusieurs études montrant qu’un traitement prolongé pouvait induire une stéatose micro- ou macrovacuolaire ou encore une fibrose hépatique, qui est potentialisée par d’autres facteurs associés : obésité, alcool ou encore hépatopathie chronique, y compris une HVC. De plus, quelques cas de cirrhoses compliquées et de décès imputés au MTX ont été décrits (13). Ainsi, le MTX est formellement contreindiqué en cas d’hépatite C chronique. Le méthotrexate est formellement contre-indiqué en cas d’hépatite C chronique. Rétinoïdes oraux Les rétinoïdes oraux (étrétinate et acitrétine) sont efficaces en cas de psoriasis pustuleux et érythrodermique. Ils agissent sur les lymphocytes T, les cellules de Langerhans et les polynucléaires neutrophiles, réduisent la prolifération des kératinocytes et favorisent leur différenciation, sans pour autant avoir une action immunosuppressive (14). Également, il n’y a pas eu d’études réalisées chez les patients psoriasiques atteints d’HVC chronique active recevant les rétinoïdes oraux. Mais, leurs effets secondaires hépatiques sont bien connus, particulièrement les perturbations du bilan hépatique et lipidique réversibles à l’arrêt du traitement (15). Dans l’étude de H.H. Roenigk et coll., il n’y avait pas de corrélation statistiquement significative entre les perturbations biologiques hépatiques, la dose cumulée de rétinoïdes oraux et les modifications histologiques deux ans après le début du traitement (16). Ainsi, les rétinoïdes oraux doivent être utilisés avec prudence chez les psoriasiques atteints d’hépatite C chronique(17). Ils sont indiqués en cas de contreindications d’un traitement immunosuppresseur et de la nécessité d’un traitement systémique (18). Les rétinoïdes oraux doivent être utilisés avec prudence chez les psoriasiques atteints d’hépatite C chronique. Inhibiteurs du TNF alpha Mécanismes d’action L’inhibition du TNF (Tumor Necrosis Factor) est une option reconnue pour le psoriasis, qui ne semble pas délétère vis-à-vis d’une HVC, elle pourrait même être bénéfique selon certains auteurs (23). Le TNF joue un rôle clé dans le processus inflammatoire lié au VHC et également dans la résistance au traitement par l’interféron (2). Figure 1. Patiente présentant un sébopsoriasis aggravé par l’interféron alpha prescrit pour une hépatite virale C active. (Collection service des explorations fonctionnelles digestives, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc) En conséquence, à la phase aiguë de l’infection, la persistance virale pourrait s’expliquer, au moins en partie, par une réponse lymphocytaire T CD4+ spécifique partiellement insuffisante, notamment en termes de diversité des épitopes antigéniques reconnus sur la polyprotéine du VHC, et associée à une sécrétion réduite de cytokines de type Th1 (20). La pathogénie des lésions hépatiques induites par le VHC semble être médiée par une régulation de cytokines inflammatoires, principalement le TNFα (21). On retrouve dans la littérature plusieurs cas de maladies inflammatoires chroniques digestives ou rhumatismales associées à une hépatite C traitées par les anti- TNF, notamment l’infliximab et l’étanercept, sans aggravation de l’hépatite (22). La classe thérapeutique des anti-TNF, comme la majorité des immunosuppresseurs, n’a pas de toxicité directe connue au niveau hépatique. Des études récentes suggèrent que les anti-TNF peuvent constituer un traitement de deuxième intention dans les formes sévères du psoriasis en cas d’infection à VHC concomitante (15). Étanercept L’étanercept est une protéine de fusion du récepteur p75 du TNF (TNF R2/p75 + fragment Fc d’une IgG1 humaine) empêchant la liaison des TNFα et β avec leurs récepteurs naturels. Il est indiqué dans le traitement du psoriasis en plaques du rhumatisme psoriasique et de la polyarthrite rhumatoïde (23). Son efficacité et sa tolérance chez le patient porteur chronique du VHC ont été prouvées sans modifications de la charge virale (24). Il semble être une approche prometteuse pour des patients psoriasiques avec hépatite C chronique active (25). Il a été également proposé en prophylaxie d’une poussée du psoriasis avant mise sous interféron α-ribavirine pour une hépatite C active (26). L’étanercept a été plus rarement associé à une atteinte hépatique réversible à l’arrêt du traitement. Des publications récentes ont démontré l’intérêt de l’étanercept en adjuvant chez des patients naïfs porteurs d’une hépatite chronique C recevant une bithérapie par interféron α et ribavirine, avec moins d’effets secondaires (27). Figure 2. Patient présentant une poussée de psoriasis vulgaire aggravé par un traitement pour une hépatite virale C active (interféron alpha pégylé + ribavirine). (Collection service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc) Dans les études de séries publiées dans la littérature, l’étanercept a démontré une bonne efficacité avec une amélioration clinique rapide du psoriasis, sans aggravation hépatique. En particulier, l’étanercept ne semble pas affecter de manière significative les paramètres de la fonction hépatique ou la charge virale du VHC lors de l’administration à court terme (26). Infliximab L’infliximab, anticorps partiellement humanisé anti-TNFα, n’a montré aucun effet néfaste sur la fonction hépatique et la charge virale dans un groupe de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde et porteurs d’une infection par le VHC après suivi à long terme (15). Cependant, les études de phase III ont montré que l’infliximab pouvait induire une perturbation hépatique. La situation est différente pour l’hépatite B, puisque plusieurs cas de réactivation du virus hépatite B avec un cas d’hépatite fulminante ont été rapportés sous infliximab (28). Adalimumab L’adalimumab est un anticorps monoclonal humain qui reconnaît le TNFα circulant et membranaire, bloquant son activité biologique. Il aurait une bonne efficacité et une meilleure tolérance en cas d’hépatite C, voire une action favorable sur l’activité virale. Il est administré par injection sous-cutanée permettant une utilisation à domicile(29). Autres biothérapies Aléfacept L’aléfacept (n’est plus commercialisé en France) est indiqué en troisième intention en cas d’hépatite C chronique associée à un psoriasis. Il se caractérise par son mode d’action sélectif sur les lymphocytes T, en inhibant leur activation et leur prolifération. Figure 3. Même patient que figure 2 ; amélioration sous photothérapie UVB. (Collection service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc) Il entraîne également l’apoptose des lymphocytes T mémoire ce qui expliquerait sa bonne tolérance (15). Éfalizumab L’éfalizumab (n’est plus commercialisé en France) est un anticorps monoclonal humanisé qui se lie à la molécule CD11a. Il pourrait être considéré en troisième intention mais son action immunosuppressive augmente le risque de réactivation d’infection latente chronique y compris l’infection chronique par le VHC (15). Les cas exceptionnels d’hépatites, parfois fulminantes, justifient la surveillance régulière de la fonction hépatique avant et au cours du traitement. Ustékinumab L’ustékinumab est un anticorps recombinant monoclonal IgG1 anti-interleukine 12/23 entièrement humain indiqué dans le psoriasis modéré à sévère soumis aux mêmes exigences d’indication que les autres biothérapies. Il n’est pas contre-indiqué en cas d’affection hépatique, mais aucune étude n’a jusque-là été menée chez le patient ayant une hépatite virale C chronique. Ciclosporine La ciclosporine est indiquée selon l’AMM pour le traitement des formes étendues et sévères de psoriasis, en cas d’inefficacité, d’intolérance ou de contre-indication des traitements classiques (PUVAthérapie, rétinoïdes, MTX). La ciclosporine est une contreindication classique en cas d’hépatite C chronique, en raison de ses propriétés immunosuppressives (15). Des études récentes ont toutefois conclu que la ciclosporine inhibe la réplication du VHC et que son administration chez les patients atteints d’HVC n’entraîne pas d’altération histologique hépatique (30,31). En 2003, K. Watashi et coll. ont mis en évidence l’effet inhibiteur de la ciclosporine sur la réplication du VHC in vitro. Depuis, de nombreuses observations cliniques ont confirmé l’intérêt bénéfique de la ciclosporine sur le VHC (32). K. Inoue et coll. ont réalisé une étude comparative entre interféron seul et interféron associé à la ciclosporine (33). Les résultats étaient prometteurs avec l’obtention d’une meilleure réponse virologique en cas d’association. H. Miura et coll. ont rapporté une rémission (négativation de la charge virale) chez des patients psoriasiques atteints d’hépatite C sous traitement par ciclosporine à long terme (24- 36 mois)(34). L’efficacité de la ciclosporine chez les transplantés rénaux porteurs du VHC a également été démontrée avec inhibition de la croissance d’ARN-VHC, empêchant ainsi la progression de l’atteinte hépatique(35). La ciclosporine a un effet inhibiteur sur la réplication du VHC in vitro. Le mécanisme d’action de la ciclosporine sur l’HVC est différent de son action immunosuppressive par inhibition de la calcineurine. La ciclosporine bloque la cyclophiline cellulaire B, protéine humaine s’associant avec les protéines virales. Stratégie thérapeutique chez le patient psoriasique porteur d’une hépatite virale C chronique. D’après A.J. Frankel et coll., 2009(15). La ciclosporine en se fixant sur la cyclophiline, forme un complexe qui inhibe l’activation des lymphocytes T et empêche la réplication du virus. Elle appartient ainsi à une nouvelle classe de médicaments, les inhibiteurs de la cyclophiline, qui constituent un traitement prometteur pour l’HVC toujours en cours de développement(36). Ainsi, la ciclosporine constituerait une alternative thérapeutique à considérer en troisième intention chez les patients psoriasiques atteints d’hépatite C (33). Azathioprine L’azathioprine, puissant immunosuppresseur, est utilisé hors AMM pour traiter le psoriasis, en cas d’échec des autres traitements systémiques. L’azathioprine est associée à un très large spectre d’atteintes hépatiques avec des hépatites cholestatiques, hépatites cytolytiques, avec ou sans réaction d’hypersensibilité, des lésions vasculaires décrites ci-dessus et l’hyperplasie nodulaire régénérative. L’hépatotoxicité est clairement prouvée par des cas de réadministration après un délai de prise tardive (15). In vitro, l’azathioprine inhibe la réplication virale des flaviviridae dont fait partie le VHC. Les études réalisées chez les transplantés rénaux et transplantés hépatiques sous azathioprine atteints d’hépatite C, trouvaient un bénéfice de cette molécule en termes de diminution de l’activité histologique et de la progression du VHC sur le greffon (37). Mycophénolate mofétil Le mycophénolate mofétil est un immunosuppresseur antimétabolique qui inhibe de novo la synthèse de purine par une inhibition non compétitive et réversible de l’IMP déshydrogénase. Il a une action sélective sur la prolifération des lymphocytes T et B. Son utilisation en cas d’HVC est limitée du fait de son hépatotoxicité, avec notamment l’élévation des transaminases. Les effets secondaires hépatiques régressaient généralement après interruption ou réduction de la dose du médicament(15,38). Conclusion L’association hépatite C chronique et psoriasis pose un problème thérapeutique réel et constitue un véritable défi pour le dermatologue. Les traitements topiques sont indiqués dans les formes localisées, alors que les traitements physiques constituent les traitements de choix dans les formes étendues. Le traitement doit viser l’amélioration de la qualité de vie avec peu d’effets secondaires, surtout hépatiques, tout en prenant en considération la gravité de l’atteinte hépatique sous-jacente. Des études complémentaires sur des séries plus importantes sont nécessaires pour mieux évaluer l’innocuité à long terme des traitements dans le cadre du psoriasis associé à l’infection par le VHC. Du fait de l’absence d’études spécifiques, de la rareté des études à long terme et d’essais cliniques en double aveugle, la nécessité de mener des études prospectives de niveau de preuve élevé s’impose.
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