Publié le 03 fév 2015Lecture 6 min
Pseudolymphome médicamenteux : à propos d’un cas
B. GUERROUJ, M. AIT OURHROUI, K. SENOUCI, B. HASSAM, Service de dermatologie, CHU de Rabat
Les pseudolymphomes sont un groupe hétérogène de processus lymphoprolifératifs bénins, simulant cliniquement et histologiquement un lymphome cutané(1,2). Les étiologies sont multiples et variées, d’où la difficulté diagnostique. Le traitement est celui de l’affection responsable. Nous rapportons un cas de pseudolymphome cutané médicamenteux de type T à localisations multiples.
Observation Une femme de 70 ans a été admise dans le service pour des placards érythémato-squameux prurigineux intéressant le visage, le décolleté, le dos et les membres, dont le début remonte à juillet 2009. Il s’agissait d’abord de lésions maculeuses prurigineuses surmontées de fines squames intéressant au début les zones découvertes (décolleté, avantbras et la face antérieure des jambes), avec par la suite extension des lésions à tout le corps (figures 1 et 2). La patiente est diabétique depuis 20 ans, sous metformine chlorydrate (Glucophage®), insuline retard (Lantus®) depuis 4 ans et sitagliptine (Januvia®) introduite 5 mois avant la symptomatologie. Elle présente aussi une HTA traitée par ARAII (Cotareg®), inhibiteur calcique (Mono-tildiem®), bêtabloquant (aténolol) depuis 10 ans et un diurétique (Lasilix®) récemment rajouté, avec prise anarchique d’antalgiques, de myorelaxants et d’anti-inflammatoires. Devant ces lésions, les diagnostics évoqués étaient un eczéma photosensible, un pseudolymphome actinique, médicamenteux, un lymphome ou un lupus aigu. L’étude histologique a montré un épiderme légèrement atrophique et discret, une spongiose avec nécrose kératinocytaire par endroits et un derme oedémateux avec un infiltrat inflammatoire de type mononucléé fait de quelques lymphocytes atypiques avec exocytose. Figure 1. Aspect clinique des lésions du décolleté et des avant-bras. Figure 2. Aspect squameux des lésions. L’étude immunohistochimique objectivait la présence de lymphocytes CD3+, CD4 + et CD8 avec un épidermotropisme (CD20 négatifs). Ainsi, le diagnostic d’un infiltrat lymphoïde dermique pseudolymphomateux était retenu en absence d’atypie franche et la présence d’une nécrose associée à un infiltrat lymphocytaire. La patiente a été mise sous dermocorticoïde de classe II. Après interrogation et réponse du centre de pharmacovigilance, il a été décidé d’arrêter Lasilix®, Monotildiem® et Januvia®, et de remplacer le Cotareg® par Tareg® (valsartan) et Lantus® par Levemir® (insuline détémir). L’évolution était marquée par une régression des lésions dans un délai de 2 mois et une disparition de la symptomatologie après un recul de 2 ans. Le diagnostic d’un pseudolymphome d’origine médicamenteuse a été retenu devant l’amélioration à l’arrêt de l’agent causal. Discussion Le pseudolymphome a été décrit pour la première fois en 1891 sous le terme de Sarcomatosis cutis par Kaposi. Ce terme était ensuite utilisé par Saltzstein en 1959 pour décrire deux réactions cutanées indésirables aux médicaments avec une image histologique mimant un lymphome malin : le syndrome d’hypersensibilité aiguë et le pseudolymphome post-médicamenteux(3). Il s’agit d’un infiltrat lymphocytaire d’évolution bénigne habituellement idiopathique, mais il peut survenir en réponse à divers stimuli antigéniques : les infections, les piqûres d’arthropodes, les tatouages, les traumatismes, les bijoux et les médicaments(4,5). Les lymphocytomes peuvent être également secondaires à une borréliose, qui doit être impérativement recherchée par les examens sérologiques(6). L’origine médicamenteuse reste rare. Plusieurs médicaments sont responsables, les plus incriminés étant les anticonvulsivants (hydantoïnes, carbamazépine et barbituriques), plus rarement les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les antidépresseurs, les antihistaminiques, l’allopurinol, la ciclosporine, le méthotrexate, la D pénicillamine, la quinine, les phénothiazines, les bêtabloquants(7-9). Quelques cas ont été rapportés après des vaccinations et les injections de silicone(10). Il touche généralement l’adulte d’âge moyen sans prédominance de sexe ; des cas pédiatriques ont été également rapportés. Il est localisé préférentiellement au niveau du visage sous forme de nodule unique violacé asymptomatique ou des papules érythémateuses pouvant confluer en plaques. Les lésions peuvent être également diffuses(1). Les caractéristiques histologiques des pseudolymphomes qui le distinguent des autres infiltrats bénins sont la présence des cellules inflammatoires (macrophages et cellules dentritiques) et d’un nombre variable de lymphocytes (T ou B) de moyenne à grande taille, qui peuvent être atypiques ; seulement quelques cas sont presque entièrement composés de cellules T(11). Dans notre observation, le diagnostic de pseudolymphome T a été retenu sur l’ensemble des signes cliniques, histologiques et immunophénotypiques. L’origine médicamenteuse a été suspectée devant l’introduction récente de plusieurs thérapeutiques, confirmée après l’amélioration à l’arrêt des médicaments les plus incriminés. Le diagnostic différentiel se pose essentiellement avec les toxidermies, mais la présence de nécrose cutanée à l’histologie cutanée permet de trancher ainsi que la présence des signes généraux. Peuvent aussi être discutés un lichen, une syphilis, un lupus, une dermatite pigmentée purpurique et un eczéma de contact. Les données histologiques, les sérologies et les patch-tests permettent en général de trancher. Un autre argument fort en faveur de l’origine médicamenteuse est la disparition des lésions à l’arrêt du ou des médicaments incriminés(12). Plusieurs traitements ont été proposés : les corticoïdes locaux ou intralésionnels, l’exérèse chirurgicale, le thalidomide, l’interféron alpha, la cryothérapie ou encore la radiothérapie(13). Mais l’éviction de l’agent fautif reste le traitement curatif. Chez notre patiente, on a choisi un traitement peu agressif et l’arrêt des classes thérapeutiques les plus incriminées, après avis des médecins traitants. L’observation de l’évolution est importante pour confirmer le diagnostic, et un suivi s’impose pour ne pas passer à côté d’un lymphome. Notre patiente est toujours en rémission complète après un recul de 2 ans. Conclusion Cette observation illustre les difficultés du diagnostic de toute hyperplasie lymphoïde bénigne cutanée. Elle permet d’insister sur la délicatesse de la prise en charge thérapeutique et sur la nécessité d’une surveillance pour ne pas passer à côté d’un lymphome.
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